L’institut français Hypérion était-il réellement une école de langues ou la chambre de compensation de divers services secrets ?
Parmi ceux-ci, Corrado Simioni, Vanni Mulinaris, Duccio Berio, Mario Moretti, Prospero Gallinari et Innocente Salvoni, dont la femme, Françoise Tuscher, était non seulement secrétaire d’Hypérion mais aussi la nièce de l’Abbé Pierre.
Dans une lettre à son beau-père Malagugini, responsable du PCI [Parti communiste italien] pour les problèmes de l’Etat, Duccio Berio aurait admis être un informateur des services secrets militaires italiens (SID). Vont dans ce sens GLADIO: The secret U.S. war to subvert Italian democracy d’Arthur E. Rowse et Puppetmasters: The Political Use of Terrorism in Italy de Philip Willan.
Ce sont eux les hommes qui ont décidé de fonder le Superclan, une nouvelle structure super clandestine, avec une volonté hégémonique et pour coordonner les différentes organisations terroristes à l’échelle internationale.
La figure de Corrado Simioni est particulièrement controversée. Au début de sa carrière politique, il milite dans les rangs du PSI [Parti socialiste italien] avec Bettino Craxi mais en 1965 il est exclu du parti pour indignité morale. Peu après a commencé sa collaboration avec l’USIS [United States Information Service], les services secrets américains. Par la suite Simioni, parmi les principaux spécialistes de Luigi Pirandello, déménage à Münich en Bavière pour approfondir des études de latin et de religion. Puis il réapparaît en Italie à la veille de 68 et il participe à la constitution du CPM [Collectif politique métropolitain].
Mais les relations avec Curcio ont commencé à se détériorer jusqu’à la rupture finale. Simioni avait projeté un attentat à la dynamite contre le siège de l’ambassade des Etats-Unis à Athènes. Le plan prévoyait l’utilisation d’une femme, à choisir parmi les personnes appartenant aux soi-disant « tantes rouges ». Simioni s’était d’abord tourné vers Mara Cagol, à laquelle il avait néanmoins demandé de ne pas en parler, même à Curcio. Suite au refus de Cagol, Simioni cherche de nouveaux volontaires. Il les trouve en la personne du Chypriote Giorgio Christou Tsikouris et de Maria Elena Angeloni. Le 2 septembre 1970, les deux montent à bord d’une Volkswagen et se dirigent vers l’ambassade, mais le mécanisme d’horlogerie de la bombe se coince. La voiture explose. Tous deux meurent. La conclusion tragique de l’évènement provoque la rupture définitive des relations entre Simioni et Curcio.
Dans le livre d’interview avec Mario Scialoja À visage découvert, Curcio dit :
« Tout a commencé par une lutte de pouvoir à la réunion de Pecorile. Corrado Simioni est arrivé avec l'intention de conquérir une position hégémonique à l'intérieur de la gauche prolétarienne agonisante : il a prononcé une intervention particulièrement dure, et soutenu que le service d'ordre allait être ultérieurement militarisé. Son opération a échoué, mais, une fois retourné à Milan, il ne s'est pas donné pour vaincu : il a proposé des attentats inconcevables pour une organisation ancrée, insérée dans un mouvement très vaste et, pratiquement, ouverte à tous. Margherita, Franceschini et moi étions d'accord pour juger ses idées irréfléchies et dangereuses. Nous avons décidé de l’isoler ainsi que les camarades qui étaient les plus proches de lui, Duccio Berio et Vanni Mulinaris : nous les avons tenus à l'écart de la discussion sur la naissance des Brigades Rouges et nous ne les avons pas informés pas de notre première action contre la voiture de Pellegrini. Simioni rassembla un groupe d'une dizaine de camarades, parmi lesquels Prospero Gallinari et Francoise Tuscher, la nièce du célèbre Abbé Pierre : ils se détachèrent du mouvement en soutenant qu'ils n’étaient plus maintenant que des francs-tireurs. Il y avait cependant des amis communs qui nous tenaient informés de leurs discussions internes et nous connaissions leur projet de créer une structure fermée et sûre, super clandestine, qui pourrait entrer en action comme groupe armé dans un deuxième temps : quand, d'après leurs prévisions, repérés et désorganisés, nous aurions tous été capturés ».
Les militants du Superclan déménagèrent rapidement à Paris, où ils fondèrent tout d’abord les associations culturelles internationales Agora et Kiron, puis l’école de langues Hypérion, considérée par beaucoup comme une centrale internationale du terrorisme.
Le général Maletti a révélé l’existence d’un rapport daté de 1975 où il dénonçait le risque que les BR, décapitées suite aux arrestations de Curcio et Franceschini, puissent renaître sous la direction d’hommes d’une envergure culturelle supérieure, mais au prix d’une mutation considérable de leur matrice politique. Une référence à Hypérion ?
À l’automne 1977, Hypérion ouvre un bureau de représentation à Rome, 26, via Nicotera. Dans le même immeuble opèrent des sociétés couvertes par le SISMI [Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militare]. Les bureaux resteront ouverts jusqu’en juin 1978, c’est-à-dire dans la période qui va du projet d’enlèvement de Moro jusqu’à peu après son épilogue tragique.
Le juge Pietro Calogero découvre des preuves qui impliquent la participation de l’école dans l’activité des BR, mais la fuite providentielle de nouvelles publiées dans le Corriere della Sera, contrôlé par la P2 [Propaganda Due], rend vaine la perquisition imminente des locaux de l’école par la magistrature.
Antonio Savasta, brigadiste repenti, raconte que Simioni, Berio et Mulinaris coordonnaient une structure internationale de liaison de toutes les organisations terroristes, dans la période de la « seconde saison » des BR, celle de la militarisation et de l’hégémonie de Mario Moretti.
Cette structure et ses coordinateurs clandestins avaient leur siège à Paris où Moretti se rendait souvent, avait un logement et maintenait un contact direct avec les « super clandestins » italiens et avec Jean-Louis Baudet, membre d'un service de renseignements privé, « Le Groupe », protégé par les services secrets français et en contact avec toutes les réalités de la clandestinité et du renseignement, en Europe et au-delà.
En 1980, l’honorable Craxi, supposant l’existence d’un chef occulte des Brigades Rouges, avait averti : « Il faudrait fouiller dans notre mémoire, penser aux personnages qui ont commencé à faire de la politique avec nous, puis ont disparu et sont peut-être à Paris où ils travaillent pour la lutte armée » ; un profil qui rappelle fortement la figure de Corrado Simioni.
Giovanni Pellegrino, à la tête de la Commission Stragi pendant 7 ans, a avancé le soupçon qu’Hypérion a pu être un point de croisement des Services secrets de l’Ouest et de l’Est, absolument nécessaire dans la logique du maintien des équilibres de Yalta. Equilibres qu’Aldo Moro, avec sa politique d’ouverture au PCI, minait gravement.
Pellegrino a retrouvé une référence à Hypérion dans un témoignage du général Nicolo Bozzo, collaborateur de confiance de Dalla Chiesa. Bozzo a raconté au Tribunal que Dalla Chiesa avait demandé d’enquêter sur « une structure secrète paramilitaire avec fonction d’organisation anti-invasion, mais qui avait ensuite débordé dans des actions illégales et avec des fonctions de stabilisation du cadre interne, structure qui avait pu trouver son origine dans l’époque de la Résistance, par l'infiltration d’organisations de gauche et le contrôle de certaines organisations. »
Voici comment le juge Carlo Mastelloni se souvient de sa rencontre avec l’Abbé Pierre qui, au milieu des années 80, s’est présenté au Tribunal de Venise.
« Il était venu de France pour faire des déclarations spontanées en faveur du groupe des Italiens résidant à Paris qui tournaient autour de l’école de langues Hypérion. J’avais émis contre eux une série de mandats d’arrêt pour des délits en rapport avec le terrorisme rouge. Il est venu me dire qu'il s'agissait de personnes persécutées par une administration centrale située à droite, qu’il les avait accueillies au sein de son organisation, qu’au pire ils avaient commis des erreurs de jeunesse.
Il a fait huit jours de grève de la faim. Je me suis rendu compte que l’Abbé était une sorte de référent d’Hypérion parce que sa nièce Françoise Tuscher, secrétaire de l’école, était la femme d’une des personnes recherchées, Innocente Salvoni. La photo de Salvoni a été diffusée par le ministère de l’intérieur le jour de l’enlèvement de l’homme d’Etat de la DC [Démocratie chrétienne] ainsi que celles de 19 autres accusés en fuite, soupçonnés d’être impliqués dans le guet-apens de la via Fani. Mais elle n'a plus été reproposée dans les semaines qui ont suivi.
Nous savons aussi que, pendant la séquestration, on amena l’Abbé au siège de la DC, piazza del Gesu, pour parler avec le secrétaire du parti, Zaccagnini. Mais nous ne savons pas s'ils se sont rencontrés ni ce qu’ils se sont dit.
L'Abbé Pierre était un héros de la Résistance, un homme qui avait une vision supérieure du cours des choses. Il avait l'attitude de ceux qui ont vu le scénario complet. »
Traduit de l'italien par Jules Bonnot de la Bande.
bonjour
RépondreSupprimerEst ce que Françoise Tuscher et aussi Françoise Salvoni qui est mise en cause dans l'affaire de l'abbé Pierre-Garaudy ?
Françoise Tuscher étant l'épouse d'Innocente Salvoni, c'est sans aucun doute elle qui est en cause dans l'affaire où l'on vit l'abbé Pierre apporter son soutien au négationniste Roger Garaudy. Par ailleurs, Corrado Simioni est devenu par la suite « secrétaire particulier de l'abbé, vice-président de la fondation Abbé-Pierre pour le logement et président de l'Association pour le renouveau du drame sacré (Ardras) » (L'Express, 02/05/1996)...
RépondreSupprimerQue sont devenus les fondateurs d'Hypérion ?
RépondreSupprimerJ'ai cru comprendre que le siège avait été déplacé de Paris à Bruxelles, avec un autre nom. Est-ce le cas ?
Franco Troiano a créé Eurologos à Bruxelles et il en est toujours le directeur. Savez-vous si Eurologos a une réputation aussi "sulfureuse" qu'Hyperion ?
RépondreSupprimerJ'ai lu qu'Hyperion avait eu le soutien du père dominicain belge Félix Morlion.
Le père Morlion a quitté la Belgique pendant la guerre et a vécu au Portugal, à Rome et à New York, où il est décédé. Il semble y avoir peu de traces de lui en Belgique ...
Par contre, on en trouve encore des traces sur internet :
http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,799920-2,00.html
ITALY: How to Fight Communists
Monday, Mar. 28, 1949
Voici aussi un article du "Monde" :
Paris, capitale des « années de plomb »
Article paru dans l'édition du 30.11.05
Cofondateur des Brigades rouges (BR) avec Renato Curcio et Margherita Cagol, Alberto Franceschini a été arrêté trop tôt pour avoir du sang sur les mains. Il a purgé dix-huit ans de prison pour constitution de bande armée.
(...) En publiant ce livre-entretien, Alberto Franceschini ajoute une pièce majeure au puzzle des « années de plomb », ce passé pas si simple que l'Italie n'a pas encore soldé. « Les BR continuent d'exister parce qu'on n'a jamais procédé à leur enterrement, regrette-t-il. Et on ne pourra le faire que lorsqu'on saura de manière claire quel est le cadavre à enterrer. »
(...) Mais le plus intéressant vient de ses doutes ; de ce qu'il a compris plus tard, en prison, et depuis sa libération, en recoupant des informations, en reconstruisant certains épisodes, en réinterprétant à la lumière de l'histoire certaines amitiés et rencontres de clandestinité.
Les Brigades rouges étaient infiltrées par le Parti communiste et l'Etat italiens : « On nous a combattus quand c'était utile de nous combattre, on nous a laissé faire quand c'était utile de nous laisser nous développer », affirme l'auteur, en s'appuyant sur des faits, parfois des détails, qui ne doivent rien au hasard.
On apprend que l'éditeur Giangiacomo Feltrinelli, ami fortuné et « ambassadeur » à l'étranger des mouvements clandestins italiens, roulait pour Cuba, la Tchécoslovaquie et la quasi-totalité du bloc socialiste, tandis qu'un camarade de la première heure, Pierino Morlacchi, avait ses entrées à Pékin et à la Stasi.
Jusqu'où allait l'instrumentalisation des BR à travers ces « agents d'influence » ? Le fondateur raconte comment la philosophie du groupe a évolué lorsque Mario Moretti, le futur cerveau de l'affaire Aldo Moro, en a pris les commandes. Celui-ci travaillait pour un mystérieux « super-clan » animé par un non moins mystérieux Corrado Simioni, dont les contacts étaient en France.
Alberto Franceschini en est convaincu : « Toute l'histoire des BR, à partir d'un certain moment, est profondément marquée par une ville, Paris, où Moretti entretenait des relations d'importance stratégique. »
(...) Entre les deux blocs qui suivaient de près l'évolution politique de l'Italie, une troisième force européenne aurait été conduite par la France... Alberto Franceschini « espère conserver encore longtemps [ses] convictions de gauche », mais il a une formule amère pour résumer son expérience : « Nous sommes partis à la conquête d'un nouveau monde sans nous rendre compte qu'en réalité nous contribuions à consolider le vieux. »
Au sujet d'Alberto Franceschini, je vous invite à lire ce que j'en dis en passant: http://julesbonnotdelabande.blogspot.com/2009/12/1-gladio-la-guerre-secrete-pour.html.
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