jeudi 19 novembre 2009

5. L'escorte d'Aldo Moro




Pourquoi Andreotti avait-il une voiture blindée et pourquoi une requête analogue faite par Moro fut-elle refusée ?

Frapper au cœur de l’Etat. Moro ou Andreotti ? C’est la question que les BR se posèrent après avoir constaté les divers niveaux de protection dont Andreotti jouissait.
Dans un premier temps, les BR avaient ouvert une enquête sur les habitudes de Giulio Andreotti, considéré comme le symbole du projet « néo-gaulliste » incarné par la droite démo-chrétienne. Alberto Franceschini avait suivi Andreotti dans une église le long du Tibre où l’homme d’Etat se rendait tous les matins. Franceschini raconte : « Enlever Andreotti était alors très facile. Il n’avait pas d’escorte. »
L’arrestation de Curcio et de Franceschini à Pinerolo en 1974 bouleversa le plan. Les BR s’ajustèrent et changèrent d’objectif.
En juillet 1976, Giulio Andreotti donna vie à son troisième gouvernement en succédant lui-même à Moro au cours de la VIIème législature. A partir de ce moment, une voiture blindée fut attribuée à Andreotti. C’est Andreotti lui-même qui a révélé que ses hommes préféraient ne pas l’utiliser en raison de son manque de maniabilité.
Dans une lettre adressée à Benigno Zaccagnini [membre de la Démocratie Chrétienne et partisan de la « ligne de la fermeté » pendant l'enlèvement de Moro], qui lui a été remise le 4 avril 1978, Moro écrit de la prison où il est captif : « Il est juste d’ajouter, dans ce moment suprême, que si l’escorte n’avait pas été, pour des raisons administratives, totalement en deçà des exigences de la situation, je ne serais peut-être pas ici. »
Le 21 janvier 2000, devant la Commission parlementaire d’enquête sur le terrorisme en Italie présidée par Giovanni Pellegrino, Germano Maccari, le quatrième homme de la via Montalcini [où Moro était prisonnier], a déclaré :
« Il me semble qu’on a choisi Moro au lieu d’un autre parce que, du point de vue militaire, il était plus facile à enlever. Le sénateur Andreotti avait une voiture blindée, une escorte plus nombreuse. »
Comme l’a confirmé Carlo Russo, chef de l’escorte de Giulio Andreotti de 1974 à 1980, la voiture blindée a seulement été utilisée à partir de l’enlèvement de Moro. Qui avait donné aux BR une information vraie mais qu'ils ne pouvaient en aucun cas vérifier ? [Interview de Carlo Russo]
Devant la Commission parlementaire, Madame Eleonara Chiavarelli, épouse de l’homme d’Etat, a affirmé que son mari avait fait la demande d’une voiture blindée. Devant cette même Commission, Andreotti et Cossiga ont nié l’épisode. Cossiga supposé que Moro avait inventé une telle circonstance dans le but de tranquilliser sa femme.
Eleonara Moro a récemment déclaré : « Si vous saviez comme la vérité de cette histoire est sale, il serait peut-être préférable de laisser faire Dieu. »
Le témoignage des veuves Ricci et Leonardi évoque aussi la demande déjà avancée d’une voiture blindée. Madame Ricci, veuve du chauffeur de Moro, a confirmé que son époux attendait depuis un bon moment une 130 blindée et il lui a dit au début du mois de décembre 1977 : « La 130 blindée a finalement été commandée. Je ne vois pas quand elle va arriver. » L'épouse de l’officier Oreste Leonardi, chef d’escorte de Moro, a affirmé à son tour que son époux avait demandé d’autres hommes au ministère de l’intérieur. Sans les obtenir.
Carlo Russi, ami de Leonardi, a apporté une confirmation en ce sens : « En 77, bien avant l’attentat, Leonardi m’a fait lire une lettre dans laquelle il demandait une voiture blindée pour Moro. Il m’a dit qu’il l’avait personnellement transmise à l’un de ses supérieurs que nous connaissions bien tous les deux. Je pense que la demande de Leonardi a été sous-estimée. Je ne veux ni ne peux penser autrement. »
Il ressort de l’audition de Sereno Freato que quelques citoyens privés avaient offert à Moro une voiture blindée et qu’il avait refusé l’offre pour des raisons d’opportunité. L’homme d’Etat avait estimé qu’accepter un tel hommage de particuliers était inconvenant, mais avait fait part au docteur Freatto que si l'offre avait eu une origine gouvernementale, il l'aurait évidemment acceptée.
Moro et les hommes de son escorte, Oreste Leonardi, Raffaele Iozzino, Domenico Ricci, Giulio Rivera et Francesco Zizzi étaient inquiets. Ils avaient peur. L’histoire leur a malheureusement donné raison.

Traduit de l'italien par Jules Bonnot de la Bande.

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