jeudi 26 novembre 2009

12. Guido Rossa

[Avant le dénouement sanglant de cette trouble affaire, on y observera un bureaucrate stalinien faire la preuve de sa compétence centrale, en faisant littéralement le métier de policier.]


Qu'est-ce qui se cache derrière l'assassinat de Guido Rossa ?
Est-il plausible que Riccardo Dura, furieux de la dénonciation qui avait conduit à l'arrestation de Berardi, n'ait pas respecté sa tâche de jambiser le syndicaliste ?


24 janvier 1979 : comme tous les autres jours, Guido Rossa quitte son domicile dans un quartier de Gênes à 6h30 pour aller travailler à l'usine. Il a dans les mains un sac poubelle qu'il dépose dans la benne, à mi-chemin entre sa Fiat 850 garée via Fracchia et la via Ischia où se trouve la porte d'entrée de son domicile. Il sort, se prépare à démarrer le moteur, mais n'en a pas le temps car il est assassiné.
Guido Rossa, marié et père d'une fille, Sabina, travailleur à l'Italsider, passionné d'alpinisme, est inscrit au PCI [Parti communiste italien] et à la CGIL [Confederazione Generale Italiana del Lavoro]. En 1970, il a été élu, presque à l'unanimité, délégué syndical. Il devient vite le point de référence pour les travailleurs, mais aussi pour les dirigeants d'entreprise qui l'apprécient pour ses qualités de sérieux et de rigueur morale.
A l'Italsider [société sidérurgique italienne] et à l'Ansaldo [autre société industrielle italienne], la présence de quelqu'un qui fréquente les BR est palpable. Rossa a longtemps soupçonné Francesco Berardi, un ouvrier des hauts fourneaux, promu employé, ex militant de Lotta Continua.
Finalement, il le coince, avec sur lui quelques brochures des BR et, de concert avec le comité d'entreprise, prévient les carabiniers. Suite à une perquisition, ils trouvent les numéros de plaque d'immatriculation de certains dirigeants d'Italsider, notés sur un feuillet par Berardi.
Au procès en référé, Berardi est condamné à quatre ans de prison et incarcéré dans la super prison de Novara. Rossa est le seul qui a le courage de témoigner et signe, en fait, sa condamnation à mort.
Ils sont trois à l'attendre ce matin-là. L'objectif est la jambisation du syndicaliste, ainsi que l'a décidé la direction stratégique nationale. Mais les choses ne se passent pas comme prévu.
Lorenzo Carpi fait le guet. Vincenzo Gagliardo ouvre le feu et jambise Rossa. Riccardo Dura attend quelques secondes, puis revient sur ses pas et tire en plein coeur sur Rossa.
Voici le tract de revendication de l'assassinat :

« Mercredi 24 Janvier, à 6h40, un noyau armé des Brigades Rouges a exécuté Guido Rossa, espion et indicateur au sein de l'établissement ITALSIDER de Cornigliano où, pour accomplir sa mission misérable, il s'était infiltré parmi les travailleurs déguisé en délégué. A cette fin, il était passé d'une position de droite connue dans les rangs des berlingueristes [partisans d'Enrico Berlinguer, secrétaire général du parti « communiste » italien]. Bien que, en principe, le prolétariat ait toujours exécuté les espions nichés en son sein, l'intention du noyau était d'invalider tout simplement l'espion comme première et seule médiation dans le conflit en question. Mais la réaction obtuse de l'espion a rendu inutile toute médiation et il a donc été exécuté. Sa trahison de classe est encore plus sordide et obtuse si l'on prend en compte le fait que le pouvoir utilise d'abord ses serviteurs, encourage leurs basses oeuvres et ensuite les laisse tomber.
Camarades, étant donné que la guérilla a commencé à prendre racine dans l'usine, la direction d'Italsider, avec la précieuse collaboration des berlingueristes, s'est employée à reconstruire un réseau d'espionnage, en utilisant d'anciens et de nouveaux indicateurs; d'une part, elle a recyclé des fascistes et des démocrates chrétiens, d'autre part elle a multiplié les recrutements d'ex du PS et des CC, d'autre part encore, elle a commencé à utiliser ces berlingueristes qui sont disponibles pour mettre en oeuvre leur ligne contre-révolutionnaire jusqu'à ses plus extrêmes conséquences :
JUSQU'AU POINT DE TRAHIR LEUR PROPRE CLASSE, EN ENVOYANT EN PRISON D'UN COEUR LEGER UN DE LEURS PROPRES CAMARADES DE TRAVAIL.
L'objectif que le pouvoir veut atteindre à travers ce réseau d'espionnage n'est pas seulement celui, propagandiste, de la “chasse aux brigadistes ou à leurs soi-disant soutiens”, mais plus largement et plus ambitieusement il veut détecter et détruire au sein de l'usine toute strate qui parle d'antagonisme de classe.
C'est le mouvement de résistance prolétarienne tout entier qui est aujourd'hui dans le collimateur de cette campagne de terreur contrerévolutionnaire, déchaînée par le pouvoir et soutenue tambour battant par les laquais berlingueristes : cette chasse aux sorcières ne frappe pas seulement ceux qui lisent et diffusent la propagande d'organisations communistes combattantes, mais aussi ceux qui luttent contre la restructuration, quiconque est rebelle à la ligne corporatiste des syndicats, quiconque aussi se dialectise simplement en paroles avec la lutte armée, sans se joindre au chœur général de la “dépréciation ou de la comdamnation”. Une confirmation de cela est l'Ansaldo où, comme c'est déjà arrivé chez Fiat ou Siemens, les berlingueristes ont remis à la direction une liste avec les noms des ouvriers “présumés brigadistes”, dressée également en fonction des interventions faites lors des assemblées contractuelles.
TELLE EST L'ESSENCE DE LA POLITIQUE BERLINGUERIENNE AU SEIN DE L'USINE, LA TENTATIVE DE DIVISER LA CLASSE OUVRIERE EN CREANT UNE STRATE CORPORATISTE, PHILOPATRONALE ET PRIVILEGIEE OPPOSABLE AUX AUTRES STRATES DE CLASSE ET AU PROLETARIAT.
A qui se prête à cette sale manoeuvre, aux Rossa et à tous les aspirants espions, nous rappelons qu'on n'est pas prolétaire par un droit de naissance direct mais par les intérêts qu'on défend et, en fonction de cette discrimination, nous savons distinguer, comme toujours, qui est un prolétaire et qui est un ennemi de classe.
Dans le cadre de ce projet, Rossa faisait partie du réseau d'espionnage de l'Italsider, en tant que membre des groupes de surveillance interne, établis par les dirigeants syndicaux pour appuyer les jaunes dans des missions de répression antiouvrière. TEL ETAIT SON VERITABLE TRAVAIL ! Sa grande occasion, celle où il a récolté les fruits d'un travail constant et silencieux, s'est présentée le jour où il a réussi à livrer au pouvoir un ouvrier qu'il connaissait et avec lequel il travaillait depuis des années, le camarade Francesco Berardi, “coupable” d'avoir eu entre les mains la propagande de notre organisation.
La confirmation de la relation directe entre les espions et la direction se comprend du fait que Rossa, après avoir traqué des heures durant le camarade Berardi, avec son digne compère Diego Contrino, EST ALLE DIRECTEMENT A LA DIRECTION le dénoncer, mettant devant le fait accompli le conseil d'usine lui-même, qui s'était en fait divisé quand les bonzes syndicaux lui avaient demandé de couvrir politiquement l'action d'espionnage. »

Le meurtre de Guido Rossa a été accueilli avec indignation par le grand public contribuant de manière décisive à faire perdre aux BR l'appui de la classe ouvrière.
Riccardo Dura est mort, ainsi que trois autres brigadistes, le 28 mars 1980, au cours de l'irruption d'un noyau antiterroriste des CC dans une cache Via Fracchia.
Sabina Rossa, fille de Guido, dans son livre Guido Rossa mio padre écrit avec Giovanni Fasanella, se dit convaincue qu' « il y avait deux niveaux dans les BR, et le plus haut et le plus secret a ordonné à Dura de tuer à l'insu des autres. »
« Mon père faisait partie du noyau du PCI qui devait surveiller ce qui se passait dans l'usine. Peut-être qu'il en savait beaucoup plus qu'on ne l'imagine, alors ils l'ont tué. »

Traduit de l'italien par Jules Bonnot de la Bande.

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