Est-il raisonnable de croire que des personnages de l'épaisseur de Prodi, Baldassari et Clo décident, au cours d'un dimanche tranquille passé à la maison, de faire une séance de spiritisme et qu'à cette occasion sorte le nom de Gradoli ? D'où provenait vraiment cette information ?
Dans la matinée du 18 mars 1978, des agents du commissaire Flaminio Nuovo se sont présentés au 3ème étage d'un immeuble, 96 via Gradoli, une rue résidentielle sur la via Cassa.
Un mouchardage, provenant peut-être de sources proches des services secrets, avait signalé dans l'appartement 11 la présence d'une cache des BR. Des agents ont frappé à la fragile porte en bois, sans recevoir de réponse. A la place, c'est la locataire du 9, Lucia Mokbel qui ouvre. Elle dit qu'elle a entendu provenir de l'appartement suspect des sons semblables à des signaux de morse.
Selon les règles en vigueur, la police aurait dû à ce moment-là briser la porte, ou du moins faire le siège de l'immeuble. Au lieu de cela, elle est repartie.
Le 2 avril, au domicile émilien du professseur Alberto Clo, s'est tenue une séance de spiritisme au cours de laquelle les âmes de La Pira [homme politique italien (1904-1977)] et de don Sturzo [fondateur du parti démocrate-chrétien (1871-1959)] devaient être évoquées. Voici comment Romano Prodi [membre de la Démocratie chrétienne à l'époque de l'enlèvement de Moro] a décrit la séance à la commission Moro le 10 juin 1981 :
« Il y avait, parmi les participants à la séance, moi, qui qui suis économiste, le professeur Gobbo, titulaire d'une chaire de politique économique à Bologne, le professeur Clo, chargé d'économie appliquée à l'université de Modène et qui s'intéresse à l'énergie, mais au pétrole, pas aux fluides. Il y avait aussi son frère, biologiste dans je ne sais quelle branche, en génétique je crois, et il y avait aussi le professeur Baldassari, économiste et titulaire d'une chaire d'économie politique à l'université de Bologne.
Parmi les femmes, il y avait mon épouse, économiste, l'épouse du professeur Baldassari, diplômée en économie et d'autres dont je connais pas l'activité professionnelle.
C'était un jour de pluie. Nous avons joué à la soucoupe, terme que je connais peu parce que c'était la première fois que je voyais quelque chose de ce genre. Bolsena, Viterbo et Gradoli sont sortis. Personne n'y a fait attention : nous avons vu alors dans un atlas qu'il existe un endroit du nom de Gradoli. Nous avons demandé si quelqu'un savait quelque chose et comme personne ne savait rien, j'ai cru de mon devoir, au risque de paraître ridicule, sentiment que je ressens en ce moment, de faire le rapprochement [avec le lieu où Moro était détenu]. S'il n'y avait pas eu ce nom sur la carte géographique, ou bien si cela avait été Mantoue ou New York, personne n'aurait fait le rapport. Le fait est que le nom était inconnu. J'ai donc fait le rapport. »
Romano Prodi a rapporté la nouvelle le 4 avril à un collaborateur de Benigno Zaccagnini, M. Umberto Cavigna, et ce dernier l'a transmise par téléphone à Luigi Zanda Loi, attaché de presse au ministère de l'intérieur, qui à son tour a transcrit les informations dans une note manuscrite remise au chef de la police, M. Parlatto.
L'information a été jugée fiable, au point que quatre jours plus tard, le 6 avril, la préfecture de Viterbe, sur ordre du Viminal [le ministère de l'intérieur], a organisé une descente armée dans le village de Gradoli, près de Viterbe, à la recherche de la prison de Moro.
Une autre indication fournie à plusieurs reprises par l'épouse de l'honorable Moro, sur l'existence d'une « via Gradoli » à Rome, a été négligée. Francesco Cossiga, à l'époque ministre de l'intérieur, a par la suite vigoureusement démenti Mme Moro.
La descente suite à la séance de spiritisme a échoué. Le 18 avril, en raison d'une fuite d'eau, les pompiers ont découvert à Rome, 96 via Gradoli, une cache des Brigades Rouges récemment abandonnée, qui s'est révélée être la base d'opérations de Mario Moretti et de Barbara Balzerani, qui avaient pris part au guet-apens de la via Fani.
Dans une interview donnée à Libero le 7 décembre 2006, Francesco Cossiga a déclaré :
« Le professeur Romano Prodi n'a pas menti, si ce n'est “matériellement”, même s'il s'est exposé avec d'autres, économistes et intellectuels catholiques rigides, à l'ironie qui reste attachée à la séance de spiritisme. Le fait est que le professeur Romano Prodi est un bon chrétien qui a voulu se protéger des dangers découlant des confidences, peut-être aussi protéger le Dr. Clo et sa source, et qui connaît certainement le livre de Torquato Accetto : De l'honnête dissimulation. Et connaissant aussi les règles de la morale catholique, il connaissait la distinction entre le “mensonge formel”, qui est un péché, et le mensonge matériel qui peut être non seulement honnête mais aussi nécessaire, comme dans ce cas. »
Deux hypothèses sont plausibles : quelqu'un avait recueilli une confidence dans les milieux universitaires proches de l'Autonomie Ouvrière et l'avait transmise, de façon trompeuse, en choisissant le prétexte de la séance de spiritisme pour ne pas avoir à divulguer sa source.
La seconde hypothèse est inquiétante : le nom du village de Gradoli est sorti, conduisant à la descente militaire en ce lieu même, pour indiquer aux brigadistes que les forces de sécurité étaient en train de s'approcher de la via Gradoli à Rome, véritable cache des BR.
Traduit de l'italien par Jules Bonnot de la Bande.
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