dimanche 29 novembre 2009

15. Marco Biagi


Pourquoi l'escorte de Biagi a-t-elle révoquée malgré les constantes menaces reçues et un rapport des services secrets, publié par Panorama, qui l'a identifié comme un objectif clair des BR ? Comment l'e-mail revendiquant l'assassinat a-t-il été retrouvé ?

« Je ne voudrais pas vous soyez contraints de me consacrer une salle, comme Massimo D'Antona ». Cette blague, Marco Biagi, 52 ans, l'a adressée au ministre du travail Roberto Maroni et à son sous-secrétaire Maurizio Sacconi.
Quelques jours plus tard, le 19 mars 2002, il a été tué par les Brigades Rouges, à Bologne, en rentrant de l'Université de Modène où il enseignait le droit du travail. Il se préparait à ouvrir la porte et à rejoindre sa femme et ses deux fils.
Lui aussi, comme D'Antona, était consultant auprès du ministre du travail dans le gouvernement Berlusconi, comme précédemment il l'avait été auprès d'Enrico Letta et de Tiziano Treu, ministres de gouvernements de centre gauche. Il était impliqué dans la définition des modifications de l'article 18 du code du travail.
En août 2000, Enzo Bianco, alors ministre de l'intérieur, établit une directive pour protéger les cibles potentiellement à risque. Une escorte a été assignée au professeur Marco Biagi suite à la découverte de tracts comportant des menaces contre lui.
Cependant, l'escorte a été révoquée par les comités provinciaux pour l'ordre et la sécurité publique de Rome, Milan, Bologne et Modène entre juin et octobre 2001, ces derniers ayant « estimé que la protection n'était plus nécessaire », par suite aussi de la directive du 15 septembre du ministre de l'intérieur Scajola, qui avait réduit les escortes de 30% en raison des nouvelles exigences des forces de l'ordre causées par les attaques terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis.
Au début de mars 2002, dans un rapport des services secrets au Parlement, publié par l'hebdomadaire Panorama, il est dit que risquaient d'être victimes d'attentats terroristes « les personnalités engagées dans des réformes économiques et sociales du marché du travail, en particulier, celles qui ont des rôles clés de techniciens et de consultants, en tête des cibles potentielles des BR figurent le ministre Maroni et ses plus proches collaborateurs qui travaillent dans l'ombre. »
En dépit de cet avertissement supplémentaire, des menaces reçues directement et des craintes pour lui et sa famille avouées à ses amis et collaborateurs du ministère, Marco Biagi ne bénéficie pas de la protection des forces de l'ordre.
Le 10 mars 2009, sept ans après la mort de son mari, dans la salle du conseil municipal de San Lazzaro di Savena, Marina Orlandi s'est rappelée la veille de l'assassinat. « Ce soir là, Marco m'a dit son inquiétude et son amertume du fait qu'il n'avait plus de protection. Pourtant, dit-il, je traite des questions cruciales. Je l'ai encouragé à aller de l'avant. Le lendemain, mon mari ne réussira pas à monter les escaliers. »
La famille a refusé les funérailles d'Etat décidées par le gouvernement Berlusconi.
Quatre jours après son assassinat, une escorte a été accordée aux quatre autres spécialistes qui, avec le professeur Marco Biagi, ont élaboré et produit le « Livre blanc sur le marché du travail » et au sous-secrétaire qui les coordonnait.
Le 28 juin, Repubblica a publié 5 emails datant de juillet-septembre 2001, parvenus sur une disquette à la revue bolognaise Zero in condotta, dans lesquels Biagi demandait le rétablissement de son escorte au président de la Chambre Pier Ferdinando Casini, au ministre du travail Roberto Maroni, au sous-secrétaire au travail Maurizio Sacconi, au préfet de Bologne, au directeur général de la Cofindustria Stefano Parisi.
Le 29 juin, le ministre de l'intérieur Scajola a défini le professeur Biagi comme « un casse couilles qui ne pensait qu'au renouvellement du contrat de conseiller. » Voir à ce propos l'article du Corriere della Sera. Au-delà de l'inadéquation morale absolue d'une telle déclaration, Scajola faisait référence à un fait objectif. En effet, le spécialiste du droit du travail se plaignait régulièrement des menaces téléphoniques qu'il avait reçues, et de là venaient nombre de ses préoccupations. Lorsqu'on a examiné l'attribution d'une escorte à Biagi, ses relevés de téléphone ont été vérifiés et tous les appels entrants venaient de la famille du juriste ou provenaient du ministère du travail. Scajola a pensé que Biagi avait inventé ces menaces. Au lieu de cela, il est probable que quelqu'un l'a menacé de l'intérieur du ministère.
A cet égard, l'histoire de Michele Landi, un consultant en informatique qui a également travaillé pour les services militaires de sécurité, et qu'on a trouvé mort dans sa maison aux portes de Rome à Guidonia Montecelio le 4 avril 2002, reste obscure.
Landi, en tant que technicien au service de la défense, avait joué un rôle déterminant pour disculper Alessandro Geri de l'accusation faisant de lui l'auteur de l'appel téléphonique des Brigades rouges, à l'époque de l'assassinat de Massimo D'Antona.
Landi pourrait avoir été tué parce qu'il était très proche, même inconsciemment, de la résolution de certains mystères entourant l'assassinat de Biagi : à partir d'une trace informatique, il avait localisé l'ordinateur d'où avait été envoyée la revendication de l'initiative brigadiste.
Dans une interview au micro de Radio 24, le consultant en informatique a expliqué les techniques utilisées pour retrouver l'expéditeur de l'e-mail dans lequel les BR avaient revendiqué la responsabilité de l'assassinat du professeur d'économie. Il fit comprendre qu'il avait parfaitement compris le chemin suivi par ce message électronique à partir de l'adresse H3290642270@inwind.it.
Voici l'intégralité de l'interview :

- Dr. Landi, ce premier travail de reconstitution du parcours informatique du document informatisé de revendication de l'assassinat de Biagi a été remis aux magistrats de Bologne.
- Le travail n'a pas été effectué par la brigade financière. Il a été fait par la police.
- Alors, quel a été votre rôle ?
- Informel. Je me suis toujours occupé des questions de sécurité. J'ai également suivi les activités de groupes. Mais dans ce cas je n'en ai jamais été chargé officiellement. J'ai participé officieusement à la recherche d'informations sur le chemin parcouru par ce mail. Je suis un civil, je travaille avec eux. Mais je le répète : je n'ai pas de rôle officiel dans la présente enquête.
- Avez-vous trouvé des erreurs, des détails, des traces qui peuvent laisser espérer l'identification des expéditeurs de cette revendication ?
- Je dirais que oui, parce qu'un signe a été émis et il semble assez incomparable. Dans ce cas, il s'agit du fameux numéro IP. Nous sommes remontés jusqu'à un accès de type téléphonique à partir duquel on peut trouver le numéro de téléphone de l'appelant.
- Ce travail permet de localiser le serveur à partir duquel le courrier a été envoyé ?
- Oui, exactement. C'est un numéro d'accès à Rome, de la société Wind. Un fournisseur d'accès Internet. Wind a une société au sein du groupe appelé InWind qui est un fournisseur d'accès Internet, même aux utilisateurs de téléphones portables. Dans ce cas, j'ai vu qu'il correspondait à un numéro d'accès direct à Rome. Donc, on a pu téléphoner ou avec un téléphone portable ou avec un téléphone fixe ou même avec un abonnement télécom.
- Et normalement cela peut être fait par un fournisseur d'accès à Internet ?
- Oui, bien sûr.
- De là, vous pouvez localiser exactement d'où l'appel a été passé ?
- Chaque fois que vous vous connectez à un fournisseur de services Internet, ce fournisseur est tenu d'enregistrer simultanément le numéro de téléphone de l'appelant. Chaque appel d'un portable ou d'un fixe est accompagné d'un numéro d'identification de l'appelant qui est associée à l'heure, au numéro de l'appelant et au synonyme du numéro IP. Je vois où a été produit cet accès, j'appelle le fournisseur et je lui demande de me dire à quel numéro de téléphone il est associé. Evidemment, il me faut une requête du juge qui suit l'enquête. Avec l'autorisation, le fournisseur est tenu de divulguer les informations nécessaires. Avec le numéro de l'appelant, on a plus ou moins la solution.
- Vous êtes en train de me dire que vous avez le bon numéro de téléphone ?
- Pas moi directement. Dans ce cas, je pense que c'est la police qui a eu l'autorisation du magistrat. Ce que j'ai pu voir de manière informelle, c'était le numéro IP. Ensuite, de fait, ce sont des hommes de la police judiciaire qui sont allés vérifier physiquement le numéro IP.
- La Digos de Bologne.
- Même si je pense que l'enquête est partie de Rome. Nous ne connaissons que les rumeurs et les nouvelles dans la presse.
- Et que disent les rumeurs ?
- Le mail ne provient pas d'un café Internet. Cela a été amplement établi. A partir de l'adresse IP, j'ai immédiatement compris que ce n'était pas un serveur de café. Puisque nous parlons d'un appel venu de Rome, dans une zone qui peut se trouver entre le secteur de Prati et la Balduina. Je crois que l'appel a été effectué à partir d'un téléphone portable. Les organes de la police judiciaire ont découvert que le numéro IP correspondait à un téléphone portable, ils ont alors appelé le fournisseur - qui peut être Wind, mais aussi un autre - et ils ont demandé à connaître le portable, l'heure, le portable occupé. Les portables, en particulier en ville, ont un rayon d'action plutôt limité. Je suppose. D'après les information que j'ai reçues.
- Il y a d'autres indices.
- La seule chose certaine, c'est ce mail et le chemin qu'il a suivi.
- Il s'agit du deuxième cas d'une revendication faite par e-mail.
- Elle a été envoyée une fois à partir d'un serveur de café. Des analogies ? Techniques, telles que le mode d'expédition, je dirais que non. Il y en a probablement dans la typologie. Mais je crois que la matrice est presque la même. Et probablement la main est exactement la même. Il y a un élément, qu'à l'heure actuelle on ne peut pas dire, qui est très similaire dans les deux cas. Lié naturellement à Internet. A la typologie. Dans la façon dont les messages ont été envoyés. C'est une analogie subtile. Les informations recueillies ces jours-ci ne sont pas décisives, mais croisées avec d'autres enquêtes... Bien sûr, elles le sont. Par exemple, le téléphone portable utilisé aura une carte d'abonnement rechargeable achetée certainement sous une fausse identité. Mais le téléphone portable a également un numéro de série qui a une histoire. Peut-être que ce téléphone a parfois été utilisé avec d'autres cartes. Ou acheté d'occasion. Parce que ces historiques de données sont conservés même de nombreuses années après, les fameuses recherches croisées sur les bases de données ou d'après les informations existantes, on peut être conduit à limiter l'enquête avec plus de précision sur un profil d'appel. En croisant les filons d'enquête de type technologique avec les activités traditionnelles, on arrive à identifier sinon l'individu, du moins un petit cercle de suspects.
- Et c'est le cas ?
- C'est absolument le cas.

Quelques jours après l'interview, il sera retrouvé mort à son domicile. Landi était rentré chez lui à quatre heures du matin après avoir passé une soirée avec des amis dans une boîte près de l'Eur. Quelques heures après, les carabiniers ont pénétré dans sa maison et l'ont retrouvé pendu dans le salon. La porte fermée, les lumières allumées, la fenêtre ouverte. Landi portait au cou une corde de trente mètres attachée à l'échelle.
Trois détails ne sont pas convaincants : le noeud serrait le cou en sens contraire du nœud sur le devant sous le menton, la déchirure violente de la corde ne s'arrête qu'à 60 centimètres, Landi a un genou posé sur le dos d'un divan et l'autre jambe touche le sol.
Le site de Landa, où d'importants documents avaient été stockés sous forme cryptée et protégés par un mot de passe, a subi sept jours après la découverte de son cadavre une attaque par des hackers et ces documents n'ont jamais été retrouvés.

Traduit de l'italien par Jules Bonnot de la Bande.

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