dimanche 15 novembre 2009

2. Mara Cagol



Dans la ferme « Spiotta », où fut emprisonné l’industriel « Vallarino Gancia », Mara Cagol est-elle tuée lors d’un échange de coups de feu ou devons-nous croire à l’autopsie qui parle de « tir précis pour donner la mort » ?

Margherita Cagol est issue d’une famille catholique. Jeune fille, elle organisait des tombolas au profit d’oeuvres caritatives et jouait de la guitare, y compris pour la télévision d’Etat italienne, la RAI. Son bac comptabilité en poche, elle s’inscrit à la faculté de sociologie de Trente où elle fait connaissance de Renato Curcio. En juillet 1969, elle obtient son diplôme avec le sujet de thèse suivant : « Qualification de la force de travail dans les phases de développement capitalistique », tandis que Curcio refuse de discuter de l’idée même de thèse, puisqu’il ne reconnaît aucune autorité à la commission qui la préside.
A partir de ce moment, les événements vont s’enchaîner frénétiquement. En août, Renato (Curcio) et Mara (Margherita Cagol) se marient, puis deviennent avec d’autres, les fondateurs du « Collectif Politique Métropolitain ». Dans une lettre adressée à sa mère, elle écrit:

« Je me dois de faire tout ce qu’il est possible pour combattre ce système, parce que je crois que là est le sens profond de notre vie. Ce ne sont pas là des choses qui nous dépassent. Ce sont plutôt des choses sérieuses et difficiles qui valent la peine d’être faites par tous les moyens nécessaires. (…) La vie est trop précieuse pour se permettre de la gâcher en inutiles palabres ou polémiques stériles. » Le passage à la lutte armée semble alors imminent.
Le dernier espoir d’un engagement profond sans recours à la violence disparaît probablement lorsque Curcio et sa femme sont impliqués dans un conflit avec la Police dans la ville de Quarto Oggiaro où ils avaient squatté des maisons. Au cours de cet évenement, Mara perd l’enfant dont elle était enceinte. Le couple rentre alors dans la clandestinité et ils deviennent, avec Alberto Franceschini, les leaders des Brigades Rouges. Le 8 septembre 1974 Curcio et Franceschini sont arrêtés. Dans une de ses dernières lettres à sa famille, Mara écrit :

« Chers parents, je vous écris pour vous dire que vous ne devez pas vous inquiéter pour moi. C’est désormais à moi et aux nombreux camarades qui veulent combatre ce pouvoir bourgeois décadent de continuer le combat. S’il vous plaît, ne pensez pas que je sois inconsciente. Grâce à vous, j’ai grandi en étant instruite, intelligente et par-dessus tout forte. Cette force, j’en ressens en ce moment, toute la puissance. Ce que je fais en ce moment est juste et sacré. L’histoire me donne raison comme elle a donné raison à la résistance de 45. Vous vous demandez sûrement si les moyens employés sont les bons ? Croyez moi, il n’y en a pas d’autre. Cet Etat policier est basé sur la force des armes et ceux qui veulent le combattre doivent se mettre au même niveau. »

Mara Cagol organise le plan qui devra faire évader Curcio emprisonné à Casal Monferrato. C’est elle, un revolver au poing, qui entre dans la prison et fait fuir Curcio. Voici le communiqué des BR pour la libération de Curcio :
Le 18 Février un noyau armé des BR a donné l’assaut et occupé la prison de Casale Monferrato libérant ainsi le camarade Curcio. Cette opération fait partie intégrante de la résistance que nous menons contre le faisceau des forces contre-révolutionnaires qui, aujourd’hui, dans notre pays mettent en place un « coup d’Etat qui ne dit pas son nom » et dont les ficelles sont tirées par les super patrons Ford et Kissinger. Ces forces, en utilisant le paravent de l’antifascisme démocratique, tentent de faire croire que le danger majeur contre lequel elles luttent, serait le retour au fascisme traditionnel. C’est en utilisant ces méthodes qu’elles [NDLR = Les forces contre-révolutionnaires] « rançonnent » les gauches alors que dans le même temps elles activent le fascisme impérialiste. Nous sommes donc arrivés au point où la mainmise de la bourgeoisie sur le prolétariat ne peut déboucher que sur l’utilisation du terrorisme comme moyen de coercition sur les appareils d’Etat. La campagne répressive élaborée et déchaînée contre les masses ces derniers mois, principalement par la Démocratie Chrétienne, en est la preuve. Les caractéristiques fondamentales de cette attaque contre-révolutionnaire sont compréhensibles par les deux points suivants:
1) La volonté de réduire syndicats et forces de gauche à une fonction néo-corporatiste.
2) L’utilisation de moyens militaires pour éliminer tous les foyers de résistance.
La crise du régime n’évolue donc pas vers la catastrophique dissolution des institutions. Bien au contraire, les éléments de dissolution sont les anticorps d’une restructuration efficiente et militaire à l’intérieur même de l’appareil d’Etat. Le terrain de résistance à la contre-révolution se pose comme terrain principal pour le développement de la lutte ouvrière. Le mouvement ouvrier trouve, de fait, face à lui le problème de transformer cette hégémonie politique qui s’exerce en ce moment même dans tous les champs sociaux comme une pratique effective du pouvoir. Pour cela, le mouvement doit ajouter à son ordre du jour la nécessité d’une cassure historique avec la Démocratie Chrétienne et la stratégie du compromis historique [NDLR : le compromis historique est issu de la volonté du gouvernement Moro. Celui-ci avait pour but que DC & PCI gouvernent ensemble afin de mettre fin à l’instabilité chronique du pays et à sa guerre civile de basse intensité]. Ce mouvement doit poser au premier plan de ses préoccupations la question du pouvoir, de la dictature du prolétariat.
Il est du devoir de l’avant-garde révolutionnaire de combattre à partir des usines, « le complot d’Etat » dans toutes ses manifestations et battre dans le même temps la répression armée de l’Etat et le néo-corporatisme des accords syndicaux.
La libération des détenus politiques fait partie intégrante de ce programme. Libérons et organisons toute les forces révolutionnaires pour la résistance au complot d'Etat.
Lutte armée pour le communisme.
Brigades Rouges

Le 4 juin 1975, les BR séquestrent l’industriel Vallarino Gancia. L’homme est caché dans la ferme Spiotta sur les collines d'Acqui Terme. Mara et un autre brigadiste, dont l’identité ne sera jamais connue, le surveillaient. Le 5 juin, une section de carabiniers se rend à la ferme Spiotta. Des coups de feu sont tirés de part et d’autre. Un carabinier est tué. Mara est blessée et l’autre membre des BR fuit dans les bois. C’est lui qui entend, quelques minutes après, un tir. Margherita (= Mara) meurt.
Voici le récit que le général des carabiniers Umberto Rocca a fait à Manuel Fondato, après sa participation à la fusillade :

« A la ferme Spiotta tout était fermé. Il y avait trois voitures garées sous le portique. Je frappe à la porte. Il y avait écrit “Mara Caruso”. Je frappe à nouveau, rien. Le Maréchal et moi-même tentons alors d’ouvrir les voitures et d’en contrôler les cartes grises. D’Alfonso me fait alors savoir qu’il a entendu une radio à l’intérieur et qu’il a reconnu, sortant de celle-ci, la voix de notre opérateur. Ils étaient clairement en train de scanner notre centre d’opération et ils en possédaient une autre branchée sur la police car nous étions près du centre d’opération de la police de la route. Je refrappe, désormais convaincu que quelqu’un devait se trouver à l’intérieur, et dans le même temps, j’ordonne à Barberis de déplacer la voiture et d’avertir la base de nous envoyer du renfort. Cette communication a également été entendue par les brigadistes qui dormaient à l’intérieur, elle (= Mara) se met à la fenêtre. Je la vois. Je la vois à travers les volets en bois typiques de cette époque. Je me souviens qu’elle s’était fait une permanente. Quand je lui dis de descendre, elle recula. Je fus donc sûr qu’elle avait quelque chose à cacher. Nous encerclâmes la ferme lorsqu’un homme ouvrit la porte et nous demanda ce que nous voulions, comme si cela n’allait pas de soi lorsque trois carabiniers se présentent en uniforme sur le pas de ta porte ! Je lui ordonnai de me présenter ses papiers. J’étais armé d’un M1 (canon long) mais très peu de temps après j’entendis « Attention, Attention ». J’aperçois seulement alors une chose rouge devant mon visage. Il m’avait lancé une grenade. J’ai instinctivement levé le bras gauche. J'ai senti une gifle, un coup, mais pas de douleur, absolument aucune douleur. Le tympan sifflait et le bras avait été coupé net. Ma chance fut que la chaleur de l’explosion avait fermé les vaisseaux sanguins sinon je serai mort exsangue.
Je n’ai pas perdu connaissance mais je suis resté concentré sur l’action. Les terroristes sortent. Le premier saute dans sa voiture et tente de faire marche arrière en jetant la seconde grenade qui ne blesse personne. D’Alfonso tente de l’éperonner avec son pare-choc afin d’empêcher sa marche arrière. Au cours de cette tentative, D’Alfonso se retrouve à terre. La femme (Mara) sort à son tour et lui tire à la tête. Il mourra le 11. Moi, je suis hors jeu, même si je suis présent, mais Cattafi & Barberis sont en alerte et réussissent à ralentir la fuite de Cagol qui entre-temps avait eu un accident. Cagol se rend. J’insiste pour être compris. Elle se rend. Elle lève les bras. Pendant ce temps l’autre, dont je tairai le nom, celui qui avait lancé les grenades, en avait deux autres. Il en lance d’ailleurs une troisième à Barberis en hurlant à Cagol de dégager. Barberis s’incline et l’esquive. Mara tente de s’échapper. Barberis tire et la blesse sous l’aisselle gauche, la balle ressortant ensuite par le foie (Barberis était plus grand qu’elle). L’homme, le héros, s’échappe à ce moment-là. »

Les résultats de l’autopsie affirment que Margherita était assise les bras en l’air et qu’un seul coup de feu lui a été tiré sous le bras gauche : un coup pour tuer. Renato Curcio écrit le tract de commémoration :

A tous les camaradas de l’organisation, aux forces véritablement révolutionnaires, à tous les prolétaires. Margherita Cagol, « Mara » est tombée. Dirigeante communiste et membre du comité exécutif des BR. Sa vie, mais aussi sa mort, sont un exemple qu’aucun combattant de la liberté ne pourra oublier. Fondatrice de notre organisation, « Mara » a donné une contribution inestimable d’intelligence, d’abnégation, d’humanité à la naissance de l’autonomie prolétarienne et à la lutte armée pour le communisme. Commandante politique et militaire de colonne, « Mara » a su conduire à la victoire quelques unes des plus importantes opérations de l’organisation. L’évasion d’un de nos camarades de la prison de Casale Monferrato est le symbole de toutes les opérations qu’elle a mené. Nous ne pouvons pas nous permettre de verser des larmes pour nos héros, mais nous devons y voir l’enseignement de la loyauté, de la cohérence, et du courage. C’est la guerre qui décide en dernier recours de la question du pouvoir : un prix à payer certainement élevé, mais pas assez pour préférer l’esclavage du travail salarié, la dictature de la bourgeoisie et de ses variantes fascistes ou sociales-démocrates. Ce n’est pas par le vote que se décide le pouvoir ; ce n’est pas avec un bulletin que l’on conquiert la liberté. Que tous les révolutionnaires sincères honorent la mémoire de « Mara » en méditant l’enseignement politique qu’elle a su nous donner avec ses choix, son travail, sa vie. Que milles bras se proposent pour ramasser son fusil. Nous, dans un dernier adieu, nous lui disons, « Mara », une fleur a éclos, et cette fleur de liberté sera cultivée par les Brigades rouges jusqu’à la victoire!
Lutte armée pour le communisme.

Traduction de l'italien par Guillaume Origoni, revue et corrigée par nos soins.

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