[SUR L'ARRESTATION DE FÉLIX FÉNÉON]
[Entretien avec un journaliste du « Soir »]
[Entretien avec un journaliste du « Soir »]
Il était intéressant de connaître l'impression produite par l'arrestation de M. Fénéon, dans le milieu littéraire où il est plus particulièrement connu. Nous nous sommes rendus dans ce but :
CHEZ M. MALLARMÉ
Je suis très surpris, je vous assure, de la nouvelle que vous m'apprenez. J'avais beaucoup connu jadis M. Fénéon, du temps où existait la Revue indépendante, et je le voyais encore assez fréquemment.
M. Fénéon est un jeune littérateur des plus distingués, critique d'art des plus remarquables, et un passionné de la peinture moderne.
Nous le connaissions tous comme ayant une acuité assez vive dans ses jugements, et, sans doute, pouvait-il porter ce même esprit d'indépendance dans toutes les branches de la littérature. Mais rien dans ses conversations et ses manières d'être ne pouvait faire soupçonner chez lui des tendances à la propagande par le fait.
Je ne puis m'empêcher de croire sincèrement à une méprise et je me refuse d'accepter le bien-fondé de semblables accusations, jusqu'à preuve matérielle du contraire.
On parle, dites-vous, de détonateurs. Certes, il n'y avait pas, pour Fénéon, de meilleurs détonateurs que ses articles. Et je ne pense pas qu'on puisse se servir d'arme plus efficace que la littérature.
M. Fénéon était un parfait gentleman, d'une correction presque guindée, mais très franc à la poignée de main, et que pour mon compte j'estimais beaucoup.
Voyez-vous, il aura été victime de cet entraînement du moment qui nous porte à dénaturer les faits les moins répréhensibles.
(Le Soir, 27 avril 1894)
DEPOSITION EN FAVEUR DE FÉLIX FÉNÉON [Par Stéphane Mallarmé, le 8 août 1894]
Je connais Félix Fénéon. Il est aimé de tous. Je lui ai voué de la sympathie parce que c'est un homme doux et droit et un esprit très fin. Nous nous rencontrâmes, chez moi, les soirs, où je réunis des amis, pour causer. Je n'ai jamais entendu, ni aucun de mes hôtes, Fénéon traiter un sujet étranger à l'art. Je le sais supérieur à l'emploi de quoi que ce soit autre que la littérature, pour exprimer sa pensée.
Je suis venu au devant d'une citation, moins encore à cause de mon goût, qui est très vif, pour lui que dans un intérêt de vérité.
J'ai été victime moi-même de cet état d'esprit lorsque, à la suite des quêtes faites à domicile pour des soupes conférences, M. Clément [Jacques-Julien Clément (1836-1997), commissaire de police et chef des opérations antiterroristes] est venu enquêter chez moi.
Je crois, en résumé, que l'arrestation de Félix Fénéon est une erreur sur laquelle on ne tardera pas à revenir.
Telle est l'impression du chef reconnu de la jeune littérature.
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