vendredi 18 décembre 2009

12. Gladio : la guerre secrète des Etats-Unis pour subvertir la démocratie italienne (L'infiltration des Brigades rouges)


L'INFILTRATION DES BRIGADES ROUGES

Que les Brigades rouges aient été infiltrées minutieusement pendant des années à la fois par la CIA et les services secrets italiens n'est plus contesté. Le but de cette opération était d'encourager la violence des milieux extrémistes de gauche pour discréditer la gauche dans son ensemble. Les Brigades rouges étaient un repoussoir parfait. Avec un radicalisme à toute épreuve, ils considéraient que le parti communiste italien était trop modéré et l'ouverture de Moro trop compromettante. Les Brigades rouges travaillaient en contact étroit avec l'école de langues Hypérion à Paris, sans réaliser qu'elle avait des liens avec la CIA. L'école avait été fondée par trois pseudo-révolutionnaires italiens. L'un d'eux, Corrado Simioni, avait travaillé pour la CIA à Radio Free Europe [Willan, op. cit., pp. 189,190. Le rôle de l'école de langues Hypérion correspond à la description, faite par le procureur Pietro Calogero, d'une  structure de commandement terroriste imposant le cours suivi par la violence politique en Italie.]. Un autre, Duccio Berio, a admis avoir transmis au SID des informations sur les groupes gauchistes italiens [Ibid., p. 197.]. Hypérion ouvrit un bureau en Italie peu de temps avant l'enlèvement et le referma quelques mois plus tard. Un rapport de police italien déclara qu'Hypérion « avait pu être le plus important bureau de la CIA en Europe. » [Ibid., pp.190-98.] Mario Moretti, un de ceux qui avait la charge pour les Brigades rouges de se procurer des armes et des contacts avec Paris, réussit à échapper à l'arrestation dans l'affaire Moro pendant trois ans en dépit du fait qu'il avait conduit personnellement l'enlèvement [Ibid., pp.190-92].
Le magistrat de Venise Carlo Mastelloni conclut en 1984 que les Brigades rouges avaient reçu pendant des années des armes de l'OLP [Carlo Mastelloni, « Sentanza-Ordinanza », (Venise, 1989), p. 412, cité par Willan, op. cit., p. 196.] . Mastelloni écrivit : « l'accord de facto conclu entre les USA et l'OLP au niveau des services secrets fut considéré comme ayant un rapport avec la présente enquête sur les relations entre les Brigades rouges et l'OLP. » [Carlo Mastelloni, op. cit., p. 508 ; cité par Willan, op. cit., p. 196.] Un spécialiste de Gladio, Philipp Willan, conclut que « l'accord de fourniture d'armes entre l'OLP et les Brigades rouges faisait partie de l'accord secret entre l'OLP et la CIA. » [Willan, op. cit., pp. 196-97.] Ses recherches indiquent que l'accord supposé entre la CIA et l'OLP fut passé en 1976, un an après que les Etats-Unis s'engagèrent auprès d'Israel à ne plus entretenir de contacts politiques avec l'OLP.
Au moment de l'enlèvement de Moro, plusieurs chefs des Brigades rouges étaient en prison, ayant été livrés par un agent double après qu'ils eurent enlevé un juge. Selon le journaliste Gianni Cipriani, un de ceux qui furent arrêtés avait sur lui des numéros de téléphone et des notes personnelles menant à un membre haut placé du SID, qui s'est ouvertement vanté d'avoir des agents au sein des Brigades rouges. D'autres trouvailles fascinantes incluent la découverte dans les caches des Brigades rouges d'une imprimerie qui avait appartenu auparavant au SID ainsi que des tests balistiques montrant que plus de la moitié des 92 balles tirées sur les lieux de l'enlèvement étaient similaires à celles des stocks de Gladio [BBC Special, « Gladio, Part III », op. cit.].
Plusieurs personnes ont relevé qu'il était invraisemblable que les Brigades rouges aient pu mener à bien un tel enlèvement de type militaire, sans difficulté, dans le centre de Rome. Alberto Franceschini, un membre emprisonné des Brigades rouges, a dit : « Je n'ai jamais pensé que mes camarades à l'extérieur étaient capables de mener à bien une opération militaire complexe (...) Nous nous souvenions de nous-mêmes comme d'une organisation formée de jeunes gars inexpérimentés. » [Ibid.] Deux jours après le crime, un officier des services secrets déclara à la presse que les criminels semblaient avoir reçu un entraînement spécial de commando [Willan, op. cit., pp. 156.].
Quand les lettres écrites par Moro furent plus tard retrouvées dans une cache des Brigades rouges à Milan, les enquêteurs espérèrent qu'elles révèleraient des preuves capitales. Mais Francesco Biscioni, qui a étudié les réponses faites par Moro à ses ravisseurs, a conclu que d'importants passages avaient été supprimés quand ils furent retranscrits. Néanmoins, dans un passage non censuré, Moro s'inquiétait de ce que « les relations harmonieuses d'Andreotti avec ses collègues de la CIA » pourraient affecter son sort [Ibid., p. 130.].
Les deux personnes qui en savaient le plus sur les lettres de Moro furent assassinées. Le général des carabiniers en charge de l'antiterrorisme, Carlo Alberto Della Chiesa, fut muté en Sicile et victime d'un assassinat de type mafieux en 1982, quelques mois après avoir soulevé des interrogations au sujet des lettres manquantes [Ibid., p. 286.]. Le journaliste franc-tireur Mino Pecorelli fut assassiné dans une rue de Rome en 1979 un mois seulement après avoir rapporté qu'il avait obtenu une liste de 56 fascistes livrés à la police par Gelli [Ibid., p. 86.]. Thomas Buscetta, un informateur de la mafia sous le statut de témoin protégé aux Etats-Unis, accusa Andreotti d'avoir ordonné les deux assassinats de peur d'être démasqué [Alan Cowell, « Italy Re-examines 1978 Moro Slaying », New Ork Times, 13 novembre 1993, p. A13.]. Mais l'année dernière, une enquête conduite par ses pairs n'a trouvé aucun fondement à des poursuites contre le premier ministre. Della Chiesa et Pecorelli ne furent que deux parmi les nombreux témoins, possibles ou avérés, assassinés avant d'avoir pu être interrogés par des juges que Gladio n'auraient pas corrompus [Parmi les autres, figuraient un suspect dans l'attentat à la bombe de Brescia, qui fut exécuté par des compagnons de cellule en 1981, et un supect dans l'attentat à la bombe de Bologne, qui fut tué par les mêmes prisonniers l'année suivante. Un autre témoin de Bologne fut mortellement blessé en Bolivie en 1982 avec l'aide de la CIA. Willan, op. cit., p. 136.]. Le président Cossiga, ministre de l'intérieur quand Moro fut tué, déclara à la BBC : « La mort d'Aldo Moro pèse encore lourdement sur les démocrates-chrétiens ainsi que la décision que je pris de le sacrifier dans les faits pour sauver la République, ce qui me fit des cheveux blancs. » [BBC Special, « Gladio, Part III », op. cit.]

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