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dimanche 13 septembre 2009

Notes sur un Manifeste




Au mois de février dernier paraissait, aux Editions du passager clandestin [1], Ne sauvons pas le système qui nous broie ! Manifeste pour une désobéissance générale, « rédigé par le Sous-Comité décentralisé des gardes-barrières en alternance. » La quatrième de couverture précise les intentions des auteurs : « Au moment où la perspective de l’implosion du système capitaliste devient enfin plausible, il s’agit d’accompagner son effondrement et de s’organiser en “communes” qui privilégient l’être à l’avoir – parce qu’il n’y a plus rien à attendre de l’Etat – et offrent la possibilité à chacun d’entre nous d’accéder librement – en limitant dans la mesure du possible les échanges d’argent – à la nourriture, à un logement, à l’éducation, et à une activité choisie. » Partant d’un constat non seulement « enfin plausible » mais déjà largement détaillé et analysé par divers auteurs critiques, le renversement de perspective prôné par ce Manifeste possède un air de famille avec les thèses du dernier best-seller contestataire, L’Insurrection qui vient (en particulier sur le thème des « communes »). Toutefois, il s’en distingue, comme nous allons le voir, par le recyclage inattendu de quelques vieilleries, dont on pouvait penser que Mai 68 et ses suites avaient consacré la faillite définitive.
Si l'heureux choix d’une ou de plusieurs épigraphes constitue l’une des réussites d’un bon livre, rien n’est de plus mauvais augure qu’une épigraphe malheureuse, et a fortiori deux [2]. Celles qui ouvrent le Manifeste pour une désobéissance générale sont empruntées à Vaneigem [3] et aux Tupamaros [4]. La citation du prolifique auteur du Livre des plaisirs est une auto-parodie du style incantatoire qui est devenu sa marque de fabrique depuis quarante ans. Il déplore que « la plupart continuent de se lamenter plutôt que de mettre en place une société où la solidarité et le bien commun seraient restaurés », de la même façon qu’en prêcheur radical, promettant des lendemains qui chantent sans fatigue, il réclamait jadis les Conseils Ouvriers sinon rien. Par quel travail historique précis, en affrontant quels obstacles, un tel but pourrait commencé d’être approché, on n’en saura rien, comme d’habitude, sous une telle plume. Bagatelles pour un penseur de cette envergure ! De même, à Oaxaca, bien que « le mouvement des barricadiers, des libertaires et des communautés indiennes » ait été vaincu, « les choses sont claires et quand le combat reprendra, il sera sans crainte et sans ambiguïté. » Dans ces conditions, on se demande bien pourquoi celui-ci ne reprend pas aussitôt pour en finir sur le champ avec toutes les aliénations. Ce vaneigemisme traverse tout le Manifeste. Un exemple-type est fourni par la banalité de base suivante : « S’il fallait tout bêtement détruire ce système fondé sur la propriété, l’exploitation du travail et la valeur de l’argent que nous avons construit pour retrouver l’usage de notre intelligence humaine ? » Pourtant, cette conclusion est d’autant plus inattendue qu’elle suit à la lettre une observation lucide sur l’état de délabrement des consciences qui compromet quelque peu les chances de retrouver « l’usage de l’intelligence » : « Certains diront que le tableau est bien noir et qu’il existe des contre-pouvoirs, que l’on peut “faire confiance” à nos concitoyens pour s’opposer, résister et rejeter ce qui ne va pas dans ce système. Mais n’est-ce pas là une croyance simpliste et qui ne repose sur aucune analyse ? Car, faire confiance a priori à nos qualités humaines, alors que celles-ci sont sans cesse dévalorisées par une éducation saccagée, un travail dégradé et le formatage abrutissant de médias avides de vendre leurs produits, est de plus en plus difficile – c’est d’ailleurs une des clés de la réussite du système qui nous oppresse. » Par quel coup de baguette dialectique l’humanité passera soudain de l’aliénation totalitaire à la désaliénation totale, le mystère reste entier. En tout état de cause, ce que chacun peut observer est en effet que « le système n’est pas en train de s’effondrer du fait de notre contestation ou de quelque cause qui lui soit externe. Ce que nous vivons en 2009 est l’effondrement du système sous le poids de ses propres contradictions. » Dès lors on ne comprend pas pourquoi un hypothétique mouvement de contestation de quelque ampleur devrait « œuvrer à l’effondrement rapide du système ». Celui-ci s’en charge tout seul. Même si aujourd’hui un tel souhait est bien compréhensible, il n’y a pas lieu non plus de s’en réjouir avec impatience (« Il est temps, aujourd’hui, que “nos” dirigeants soient balayés par la tempête qu’ils annoncent »). Une tempête – chaque ouragan est là pour nous le rappeler – balaye aussi et d’abord les dirigés, à commencer par les plus pauvres.
Quant à la citation des Tupamaros, il ne semble pas avoir effleuré l’esprit des auteurs qu’elle entre en contradiction avec celle de Vaneigem. Pour celui-ci, « le mouvement des barricadiers, des libertaires et des communautés indiennes s’est débarrassé des ordures gauchistes – lénino-trotskystes-maoïstes – qui prétendaient récupérer le mouvement. » Or le mouvement des Tupamaros était précisément composé d’ « ordures » de cet acabit, sa direction bureaucratique comprenant un bon nombre de castristes et de maoïstes. Le mot d’ordre idéologique des Tupamaros (« Les mots nous divisent, les actes nous unissent ») exclut la nécessité pour tout mouvement social autonome de chasser les bureaucrates de ses luttes. Cette contradiction initiale (agir sans et contre les bureaucrates ou périr avec eux) trouve sa conclusion logique dans l’appel à saisir « toutes les occasions pour construire l’outil dont nous avons besoin pour mener nos actions. Parti pour certains, syndicat, coordination ou organisation révolutionnaire pour d’autres, peu importe, si les moyens mis en œuvre, la démocratie directe, la libre association et le partage des richesses, abolissent le système capitaliste que le pouvoir en place tente aujourd’hui de sauver en renflouant les banques et en imposant partout où il le peut une dictature policière et militaire. » Sans même parler des fins poursuivies (De quelles richesses parle-t-on ici ? Veut-on évoquer les mauvais produits du travail aliéné ?), les moyens importent toujours dans cette sorte de guerre. Aucun parti ni aucun syndicat ne peuvent en tout cas servir à mettre en œuvre la « démocratie directe » ou la « libre association », voilà ce qu’un siècle de contre-révolution bureaucratique et de syndicalisme réformiste devrait permettre de tenir pour définitivement acquis. Sans doute, diverses organisations, comme le NPA, travaillent à leur réhabilitation en se donnant une façade plus démocratique, mais un tel toilettage n’est guère plus qu’un habillage marketing appelé à décevoir encore. Les « individus et les groupes sociaux [qui] chercheront à sortir du système » et tous ceux qui sont engagés dans « l’extension de la désobéissance généralisée » gagneraient à s’en souvenir.

[1] On doit à cet éditeur quelques rééditions comme Evolution et Révolution d’Elisée Reclus (présenté par Olivier Besancenot) ou encore La Désobéissance civile de Thoreau (présenté par Noël Mamère). Label rouge ou vert, les produits culturels recyclés par le passager clandestin sont garantis avec additifs et colorants.
[2] Le Sous-Comité des gardes-barrières semble d’ailleurs avoir une connaissance parfois vague des auteurs qu’il cite. C’est ainsi que Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable est étourdiment attribué, contre toute vraisemblance, à Jorge [sic] Semprun et René Riesel… A moins que dans son souci œcuménique (« nous réunir dans une action contre un ennemi commun »), il n’ait pas semblé invraisemblable à ce Sous-Comité qu’un ex-stalinien et un ex-enragé aient pu faire cause commune ?
[3] « Aujourd’hui, c’est l’empire des multinationales qui implose sous nos yeux, et la plupart continuent à se lamenter plutôt que de mettre en place une société où la solidarité et le bien commun seraient restaurés. Il s’agit de rompre avec un système qui nous détruit et de bâtir des collectivités et un environnement où il nous sera donné de commencer à vivre. […] En dépit de la répression meurtrière, des exactions et des tortures, la résistance n’a pas cessé à Oaxaca. Le feu est entretenu sous la cendre. Le mouvement des barricadiers, des libertaires et des communautés indiennes s’est débarrassé des ordures gauchistes – lénino-trotskysto-maoïstes – qui prétendaient récupérer le mouvement. Les choses sont claires et quand le combat reprendra, il sera sans crainte et sans ambiguïté. En revanche, en Europe, où l’on ne fusille plus personne, ce qui domine c’est la peur et la servitude volontaire. Le système financier s’écroule et les gens sont encore prêts à payer leurs impôts pour renflouer les caisses vidées par les escrocs qu’ils ont portés à la tête des Etats. Ici, à la différence d’Oaxaca, les citoyens élisent le boucher qui les conduira à l’abattoir. » Raoul Vaneigem, octobre 2008.
[4] « Les mots nous divisent, les actes nous unissent. » Tupamaros (Uruguay).

samedi 25 avril 2009

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