vendredi 9 octobre 2009

Avertissement


L'extrait de Tiqqun cité très exactement dans Mieux vaut tard que jamais illustre une maladie chronique des champions de la critique critique, tous courants confondus. On n'y combat presque jamais des positions théoriques pour ce qu'elles sont. On préfère généralement se livrer à un procès d'intention en attribuant à l'adversaire un tort imaginaire dont on détient la réfutation prête à l'emploi, en spéculant sur l'ignorance ou le fanatisme du public. C'est que dans ces milieux, comme dans tous les autres, règnent la concurrence sur le marché des idées, la compétition agonistique et la « culture du narcissisme ».

Dans le cas particulier que nous avons relevé, contrairement à ce qu'affirme Tiqqun, Debord n'a jamais écrit que toute l'agitation (ni même toute la lutte armée), au cours des années 70 en Italie, était manipulée par Gladio. Il a seulement montré que les Brigades Rouges avaient été infiltrées puis manipulées par l'État italien pour neutraliser la dangereuse subversion prolétarienne qui menaçait l'ordre social existant. Du reste, il est, au mieux, malvenu de reprocher à Debord d'avoir pratiqué le grand camouflage du caractère explosif de la situation italienne, quand on se souvient qu'il était le directeur d'une revue, Internationale Situationniste, dont la section italienne avait participé de près aux troubles qui agitèrent l'Italie à cette époque et sut en faire l'analyse dans ses aspects les plus scandaleux, qu'il s'agisse des émeutes de Battipaglia, du soulèvement des prisons ou de la révolte de Reggio de Calabre; tout comme ce reproche dissimule qu'en traduisant le Véridique Rapport de Censor, riche en informations sur la subversion prolétarienne italienne, Debord avait su se faire le passeur efficace de « ce que la situation italienne contenait d'explosif ».

L'affaire n'aurait qu'un strict intérêt académique si elle n'était riche d'enseignements pour le présent. Qui ne comprend pas le passé se condamne à en répéter les erreurs. C'est pourquoi l'analyse très insuffisante faite par Tiqqun du terrorisme spectaculaire mérite d'être critiquée. Maintenant que Coupat et consorts tombent sous le coup d'une machination policière, ils s'adonnent à leur tour à cette paranoïaque « rétrologie ». Il est à regretter pour eux qu'ils s'avisent de l'intérêt de la question à un stade aussi avancé de la répression, mais, n'est-ce pas, mieux vaut tard que jamais. Encore faudrait-il que le Comité Invisible en tire pleinement les leçons en reconsidérant ce qu'il y avait d'insuffisant dans ses analyses sur le terrorisme au lieu de se contenter de les faire rééditer, en profitant de la récente mode autour de Tarnac. De même qu'il conviendrait d'admettre que ce sont certaines faiblesses de L'Insurrection qui vient (dont témoigne aussi la préface d'un « des agents du Parti imaginaire » à Maintenant, il faut des armes, recueil de textes de Blanqui) qui ont permis son exploitation policière, au demeurant maladroite, heureusement. On y trouve exprimée très précisément la forme pratique que la domination souhaite voir prendre à une critique radicale de la société existante. C'est pour cela qu'elle est sélectionnée médiatiquement et offerte en pâture à tous ceux que le cours désastreux du monde conduit à une impatience bien compréhensible. Si, parmi eux, quelques desperados pouvaient commettre quelque acte « insurrectionnel » aveugle propre à alimenter la peur, l'État aurait atteint le but qu'il poursuit dans toute cette affaire.

11 commentaires:

  1. We translated this text into English:

    http://www.notbored.org/bonnot-advisory.html

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  2. C'est marrant mais ce texte fait exactement ce qu'il dit qu'il ne faut pas faire !

    Eh ! vous commencer à nous les péter avec tiqqun, il serait temps de passer à autre chose non qu'une bien inutile critique de la critique critique, non ?

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  3. Dommage que cette analyse laisse émaner une aigreur contenue ds la recommandation académique parce qu'il y a beaucoup a gagner dans la remise en question continuelle des idées de notre vision du monde.

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  4. "On y trouve exprimée très précisément la forme pratique que la domination souhaite voir prendre à une critique radicale de la société existante."

    Précisément, et les événements de Poitiers de ce w-e tendent à le conforter, ce "groupe avancé" qui se vit comme une "avant-garde" (qu'il abhorre), n'est pas en mesure d'initier un mouvement qui aille au-delà de la destruction de quelques vitrines et abris-bus.

    Nous avons là des intellectuels brillants qui vomissent des théories illuminées auxquelles adhèrent une poignée de jeunes adultes figés dans le refus de la militance mais se fourvoyant dans la pire des impasses : la violence gratuite. Cette dernière est d'autant plus contre-productive qu'elle est loin de l'ampleur et de l'intensité de ce qu'on a connu dans les années 70-80.

    Par ailleurs, l'impunité dont jouissent, pour le moment, les acteurs de ces minables petites expéditions est unilatéralement décrétée par ceux qui (quoi qu'en pensent Coupat, Aspe, Mongin et consorts) gèrent la crise. Il faut qu'ils aient conscience que ces babillages servent le gouvernement qui, le moment venu, sifflera la fin de la récréation. Et il n'est pas certain que les Verts, les socialos, les journaleux se compromettrons deux fois pour la même (mauvaise) cause...

    http://lepet-au-diable.blogspot.com/

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  5. De manière générale on a l'impression que le, la ou les auteur(e)s de Tiqqun ne manquent pas une occasion pour fustiger Debord. Je me souviens avoir relevé un autre exemple dans un de leur texte, qui malheureusement ne me revient plus. C'est bel et bien une sévère concurrence qui s'exerce sur le marché des idées !

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  6. Vous trouverez quelques exemples de cette pseudo-critique au sujet de Debord dans « De l'économie considérée comme magie noire, une critique métaphysique » (Tiqqun 1) ou bien dans « Le petit jeu de l'homme d'Ancien Régime » (Tiqqun 2).

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  7. « Akim Bey » illustre sur le mode du comique involontaire la « maladie chronique » que nous évoquions dans notre Avertissement. On ne trouvera bien sûr nulle trace de « recommandation académique » dans nos propos. Mais il faut qu’il nous fasse ce procès d’intention pour pouvoir nous attribuer une supposée « aigreur », qui découlerait nécessairement, à ses yeux, d’une telle « recommandation ». Sachons lui gré toutefois d’apporter la confirmation de nos observations sur les tares des milieux contestataires dont il est, à n’en pas douter, une figure caractéristique.

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  8. L’Anonyme du 10 octobre est, à n’en pas douter, un exemple de ce « fanatisme du public » relevé dans Avertissement. Peu importent les faits précis que nous avons évoqués et auxquels il se garde bien de répondre, seule compte l’adhésion aveugle à une bande. Si le style c’est l’homme, on reconnaîtra chez cet anonyme le style de l’autorité, qui veut imposer le silence en décrétant que le débat est clos.

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  9. Bonsoir

    Dans une lettre à Jean-Francois Martos (2 May 1986) Debord, mentionne un certain Gayraud avec lequel il semble être en conflit.

    Serais-ce le même Gayraud, traducteur des textes de la section italienne de l'IS, puis membre de Tiqqun ? qui aurait pu avoir des comptes à régler ...

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  10. Merci pour cette confirmation.

    Chapulin

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