(Nous reproduisons ici ce témoignage anonyme en raison de son caractère particulièrement instructif. Ce qui apparaît dans le spectacle n'étant pas, et ce qui est n'apparaissant pas dans le spectacle, autant dire que ce que vous lirez ici, vous ne le lirez pas dans les médias dominants.)
OTAN en emporte le vent.
Comme vous l’avez sans doute lu dans la presse et sur divers sites, les imminentes festivités otanesques ont d’ores et déjà transformé la ville de Strasbourg en une zone de contrôle policier et militaire d’une ampleur, dixit même le journal Le Monde, jamais atteinte. En fin de semaine, c’est toute circulation et déplacement qui seront quasiment interdits sur une distance d’une centaine de km allant de l’aéroport d’Entzheim, au sud-ouest de Strasbourg, jusqu’à la ville allemande de Baden-Baden, située plus au nord et où sera logée une partie des”invités”. Depuis quinze jours, les contrôles de police ont été rétablis à la frontière et des gens refoulés. Quant au centre de Strasbourg, la moitié de l’espace est marquée au fer rouge – ou orange –, ce qui implique au minimum d’arborer un badge d’autorisation pour pouvoir rentrer chez soi. J’ai donc été, la semaine dernière, chercher mon étoile jaune à la Kommandantur, puisque ma rue d’habitation fait frontière entre la zone relativement libre et celle franchement occupée. Certains habitants de la zone rouge – ceux de la place de Bordeaux – sont, quant à eux, consignés à résidence et doivent effectuer, pour mettre le nez dehors, une demande téléphonique qui doit être sérieusement motivée. Même chose dans la ville allemande de Kehl. D’autres encore ont reçu de la préfecture un chèque de vacances leur intimant l’ordre d’évacuer sans discussion leur logement haut situé, lequel se trouve momentanément métamorphosé en guérite remplie de tireurs d’élite. Tout le centre ville est sillonné jour et nuit par des patrouilles de militaires, mitraillette au bras et doigt sur la gâchette. L’ambiance sonore est à l’avenant, puisque le ciel est régulièrement traversé par des escadrilles d’hélicoptères qui font du rase-mottes au dessus de certains quartiers.
“Ce sommet est donc une grande chance pour notre ville” est-il dit dans une lettre que le maire socialiste Roland Ries a jugé bon d’envoyer à tous ses administrés, au cas où l’idée ne leur serait pas venue spontanément. C’est en effet une grande chance pour Strasbourg de participer à un essai grandeur nature de militarisation de l’espace, du genre de celui qu’il faudrait bien mettre en oeuvre si la situation sociale évoluait mal aux yeux de la domination. Dans le même temps, on espère familiariser ce genre de décor aux yeux d’un bon nombre de gens, ceux-là mêmes qui – comme le laisse entendre la lettre du maire – sont assez bêtes pour ne pas quitter la ville et qu’il importe donc d’impressionner, de bien faire comprendre où est le pouvoir et où il n’est pas. Plus généralement, dans l’utopie du capitalisme total, la transformation de toute la planète en zone rouge constitue, sinon une sorte d’idéal, bientôt une réelle nécessité. Ville purgée d’une partie de ses habitants, ceux restant placés sous haute surveillance, voilà le digne pendant politique d’un monde où des machines-robots produisent mécaniquement des objets à peine destinés aux hommes, lesquels pour beaucoup ne sont déjà plus en mesure de se les procurer.
Il est difficile d’en évaluer l’ampleur et la profondeur, mais il est visible que cet état d’exception – non officiellement proclamé et sans doute dérogatoire à des lois qui, de toute évidence, ne servent décidément plus qu’à assommer ceux qui ne le sont pas encore – suscite un sentiment très répandu d’exaspération, déjà bien alimenté par ailleurs. A peine installé, le contre-sommet est déjà l’objet de provocations policières évidentes. Dans la lignée de ce qui se passe ces derniers mois, il est certain que le ministère de la police et la préfecture locale ont prévu une répression exemplaire. Des renseignements personnellement pris auprès de médecins du CHU m’ont confirmé que tous les hôpitaux des deux départements d’Alsace avaient réquisitionné tout leur personnel et se trouvaient en état d’alerte maximal ; de même, l’organisation SOS médecins a triplé ses effectifs pour la fin de semaine. Des regroupements, autrement dit entassements, ont été rapidement effectuées dans les prisons, afin de libérer de la place pour de nouveaux arrivants.
Le 2 avril 2009.
* * * * * * * *
S’il est quelque chose que les pouvoirs ont raison de redouter par les temps qui courent, c’est bien le progrès d’une mutuelle compréhension, d’une conscience sociale dans laquelle l’immense majorité des gens se convaincrait qu’elle est le jouet d’un même absolutisme – celui d’un capitalisme qui, d’avoir transformé toute réalité en marchandise, mène le monde à la catastrophe. Prévenir la formation d’une telle compréhension, entraver l’émergence de cette conscience occupent une grande place dans les actuels agissements gouvernementaux. C’est sous cet angle qu’il faut envisager les évènements qui ont marqué la fin de la semaine otanesque à Strasbourg.
Entre le 30 mars et le 3 avril, le sentiment qui semblait dominer – et que reflètaient de nombreux articles et courriers dans la presse locale – était celui de la stupéfaction, mêlée parfois d’exaspération, face à l’énormité du dispositif militaro-policier et à la brutalité occasionnelle de la soldatesque – du genre gamin passablement maltraité parce qu’il prenait simplement des photos. La manière dont les premières agressions policières au sein même du campement anti-OTAN se sont, le soir du 1er avril, retournées contre leurs auteurs a été relatée dans les journaux locaux. C’est sous les huées des habitants du quartier que la police venue provoquer les campeurs anti-OTAN a dû finalement abandonner la partie. La façon dont bien des habitants de cette banlieue pauvre de Strasbourg – la Ganzau – sont parvenus à entrer en conversation avec les membres du camp faisait partie des rares bonnes nouvelles de cette semaine par ailleurs funeste. Car, au commencement, les sentiments de beaucoup d’habitants de la Ganzau à l’idée de l’installation de milliers d’inconnus en face de chez eux semblaient plus que mitigés. Le choix de l’emplacement du camp anti-OTAN relevant par ailleurs de la préfecture, celle-ci n’avait bien entendu pas été le quérir dans les banlieues huppées. Il eut en effet été bien surprenant de voir le village anti-OTAN pousser entre la Robertsau et la Wantzenau ! Un agriculteur de la Ganzau a donc été mis en demeure de mettre à disposition une partie de ses terres arables. En optant pour ce lieu, pas très éloigné du Neuhof, pari semble avoir été fait que population locale et anti-OTAN avaient plus pour se heurter que pour s’entendre et que la police n’aurait qu’à venir pacifier les heurts éventuels. Pari risqué toutefois – que dénonce après-coup la municipalité de Strasbourg –, car l’éventualité de voir la jeunesse rebelle du Neuhof stimulée par les tentatives de petits groupes anti-OTAN pour forcer les barrages policiers en direction du centre-ville, cette éventualité était quand même assez probable et elle a eu lieu à plusieurs reprises, notamment dans la journée et la soirée du jeudi 2 avril, au cours desquelles un quartier middle-class de Neudorf – le Stockfeld – fut quelque peu malmené. Ce nonobstant, jusqu’au samedi 4 avril, l’ambiance dans ce qui restait de la population strasbourgeoise, chez des gens qui n’ont pas l’habitude de considérer l’OTAN dans des termes géo-politiques, restait, semble-t-il, dominé par un sentiment oscillant entre étonnement et colère. Le contraste entre la mission protectrice proclamée de cette organisation militaire d’un côté, et, de l’autre, la prise en otage d’une ville et le mépris, parfois si grossièrement affiché, des populations, un tel contraste commençait à ne devenir que trop visible et pouvait faire naître le doute et un début d’interrogations et de réflexions dans l’esprit de bien des gens. La plupart des conversations improvisées que nous avons eues ces jours-là allaient dans ce sens. Cela ressort aussi de nombreux courriers de lecteurs publiés par les Dernières Nouvelles d’Alsace. Cette dialectique ascendante a été efficacement minée par la journée du 4 avril et l’offensive black bloc au Port du Rhin. La prise en otage de la ville par le sommet OTAN a cédé la place à la mise à sac d’un quartier miséreux par des bandes cagoulées.
Mise à sac dont le caractère particulièrement démonstratif – flammes et nuages de fumées visibles jusqu’à très loin – a aussi permis d’en grossir l’importance. Car une partie de ce qui a brûlé ce jour-là – anciens bureaux de douanes et office de tourisme – était, selon nos informations, destinée à une prochaine démolition. L’hôtel Ibis, installé dans un beau bâtiment et, en principe, la pharmacie eux ne l’étaient pas. Pour répondre à ceux qui s’interrogent sur la portée symbolique de tels cibles, je dirais pour ma part qu’elle me semble très faible, à l’exception notable des caméras de surveillance et des publicités d’abri-bus qui ont aussi été visées. Mais, à l’heure où les organismes génétiquement modifiés envahissent la planète, où le brouillard électro-magnétique est devenu composant normal de l’atmosphère, où les systèmes de surveillance, déjà bien répandus, sont en passe d’équiper un grand nombre d’objets usuels, où les inquiétants nano-matériaux font insidieusement leur entrée dans le monde quotidien, les objectifs visés dans des actions de ce type n’ont pas une très grande portée politique. Elles ont en revanche un puissant effet idéologique. Car, dans ces moments-là, les stratégies militaires du black bloc offrent ceci de commun avec la logique marchande la plus avancée : le monde n’existe que comme champ de bataille. Et, de cette conception commune, le spectacle marchand et ses dispositifs de manipulation des foules retournent sans mal la situation à son avantage en montrant des populations, généralement pauvres, principalement victimes de bandes cagoulées ou autres, pendant que la fumée des exactions cherche à masquer, encore plus qu’à l’ordinaire, les causes et la nature du malheur général et que les pouvoirs spectaculaires ravivent les braises pour que les victimes demandent encore plus de protection, plus de sécurité, plus de vidéo-surveillance à l’État, cet ami qui leur veut du bien. Monsieur le maire Ries est venu lui-même apporter la bonne nouvelle : le président Sarkozy veillera personnellement à la réhabilitation du Port du Rhin ! Dans ce jeu de rôles, chacun peut changer de costume. Le premier des pyromanes devient chef des pompiers, de même que la police peut, le cas échéant, se déguiser en manifestant ou encore revêtir la cagoule noire, pour ajouter de l’huile sur le feu. Est-ce spontanément que celui-ci a redémarré en fin de journée au dernier étage de l’hôtel, obligeant une nouvelle intervention des pompiers et le déménagement des habitants voisins pour la nuit suivante, à cause des gaz toxiques ?
De toute évidence, il était convenu, en haut lieu, que cela brûle. Les compagnies de CRS avaient reçu l’ordre de se replier à distance, les pompiers français ne sont intervenus qu’avec un retard inexplicable. Le soir du 4 avril, on pouvait lire, sur le site du Badische Zeitung, que la proposition des pompiers allemands de venir de suite éteindre les premiers foyers avait été refusée du côté français. Sous couvert de poursuivre les incendiaires qui s’y étaient réfugiés, la manifestation anti-OTAN, déjà confinée sur un parcours inepte – la zone industrielle du Port du Rhin –, a été copieusement canardée de lacrymogènes et, pour finir, sabotée, avec un grand nombre de gens pris au piège et véritablement coincés entre les CRS revenus et les immeubles en feu.
Le 8 avril 2009.
Comme vous l’avez sans doute lu dans la presse et sur divers sites, les imminentes festivités otanesques ont d’ores et déjà transformé la ville de Strasbourg en une zone de contrôle policier et militaire d’une ampleur, dixit même le journal Le Monde, jamais atteinte. En fin de semaine, c’est toute circulation et déplacement qui seront quasiment interdits sur une distance d’une centaine de km allant de l’aéroport d’Entzheim, au sud-ouest de Strasbourg, jusqu’à la ville allemande de Baden-Baden, située plus au nord et où sera logée une partie des”invités”. Depuis quinze jours, les contrôles de police ont été rétablis à la frontière et des gens refoulés. Quant au centre de Strasbourg, la moitié de l’espace est marquée au fer rouge – ou orange –, ce qui implique au minimum d’arborer un badge d’autorisation pour pouvoir rentrer chez soi. J’ai donc été, la semaine dernière, chercher mon étoile jaune à la Kommandantur, puisque ma rue d’habitation fait frontière entre la zone relativement libre et celle franchement occupée. Certains habitants de la zone rouge – ceux de la place de Bordeaux – sont, quant à eux, consignés à résidence et doivent effectuer, pour mettre le nez dehors, une demande téléphonique qui doit être sérieusement motivée. Même chose dans la ville allemande de Kehl. D’autres encore ont reçu de la préfecture un chèque de vacances leur intimant l’ordre d’évacuer sans discussion leur logement haut situé, lequel se trouve momentanément métamorphosé en guérite remplie de tireurs d’élite. Tout le centre ville est sillonné jour et nuit par des patrouilles de militaires, mitraillette au bras et doigt sur la gâchette. L’ambiance sonore est à l’avenant, puisque le ciel est régulièrement traversé par des escadrilles d’hélicoptères qui font du rase-mottes au dessus de certains quartiers.
“Ce sommet est donc une grande chance pour notre ville” est-il dit dans une lettre que le maire socialiste Roland Ries a jugé bon d’envoyer à tous ses administrés, au cas où l’idée ne leur serait pas venue spontanément. C’est en effet une grande chance pour Strasbourg de participer à un essai grandeur nature de militarisation de l’espace, du genre de celui qu’il faudrait bien mettre en oeuvre si la situation sociale évoluait mal aux yeux de la domination. Dans le même temps, on espère familiariser ce genre de décor aux yeux d’un bon nombre de gens, ceux-là mêmes qui – comme le laisse entendre la lettre du maire – sont assez bêtes pour ne pas quitter la ville et qu’il importe donc d’impressionner, de bien faire comprendre où est le pouvoir et où il n’est pas. Plus généralement, dans l’utopie du capitalisme total, la transformation de toute la planète en zone rouge constitue, sinon une sorte d’idéal, bientôt une réelle nécessité. Ville purgée d’une partie de ses habitants, ceux restant placés sous haute surveillance, voilà le digne pendant politique d’un monde où des machines-robots produisent mécaniquement des objets à peine destinés aux hommes, lesquels pour beaucoup ne sont déjà plus en mesure de se les procurer.
Il est difficile d’en évaluer l’ampleur et la profondeur, mais il est visible que cet état d’exception – non officiellement proclamé et sans doute dérogatoire à des lois qui, de toute évidence, ne servent décidément plus qu’à assommer ceux qui ne le sont pas encore – suscite un sentiment très répandu d’exaspération, déjà bien alimenté par ailleurs. A peine installé, le contre-sommet est déjà l’objet de provocations policières évidentes. Dans la lignée de ce qui se passe ces derniers mois, il est certain que le ministère de la police et la préfecture locale ont prévu une répression exemplaire. Des renseignements personnellement pris auprès de médecins du CHU m’ont confirmé que tous les hôpitaux des deux départements d’Alsace avaient réquisitionné tout leur personnel et se trouvaient en état d’alerte maximal ; de même, l’organisation SOS médecins a triplé ses effectifs pour la fin de semaine. Des regroupements, autrement dit entassements, ont été rapidement effectuées dans les prisons, afin de libérer de la place pour de nouveaux arrivants.
Le 2 avril 2009.
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S’il est quelque chose que les pouvoirs ont raison de redouter par les temps qui courent, c’est bien le progrès d’une mutuelle compréhension, d’une conscience sociale dans laquelle l’immense majorité des gens se convaincrait qu’elle est le jouet d’un même absolutisme – celui d’un capitalisme qui, d’avoir transformé toute réalité en marchandise, mène le monde à la catastrophe. Prévenir la formation d’une telle compréhension, entraver l’émergence de cette conscience occupent une grande place dans les actuels agissements gouvernementaux. C’est sous cet angle qu’il faut envisager les évènements qui ont marqué la fin de la semaine otanesque à Strasbourg.
Entre le 30 mars et le 3 avril, le sentiment qui semblait dominer – et que reflètaient de nombreux articles et courriers dans la presse locale – était celui de la stupéfaction, mêlée parfois d’exaspération, face à l’énormité du dispositif militaro-policier et à la brutalité occasionnelle de la soldatesque – du genre gamin passablement maltraité parce qu’il prenait simplement des photos. La manière dont les premières agressions policières au sein même du campement anti-OTAN se sont, le soir du 1er avril, retournées contre leurs auteurs a été relatée dans les journaux locaux. C’est sous les huées des habitants du quartier que la police venue provoquer les campeurs anti-OTAN a dû finalement abandonner la partie. La façon dont bien des habitants de cette banlieue pauvre de Strasbourg – la Ganzau – sont parvenus à entrer en conversation avec les membres du camp faisait partie des rares bonnes nouvelles de cette semaine par ailleurs funeste. Car, au commencement, les sentiments de beaucoup d’habitants de la Ganzau à l’idée de l’installation de milliers d’inconnus en face de chez eux semblaient plus que mitigés. Le choix de l’emplacement du camp anti-OTAN relevant par ailleurs de la préfecture, celle-ci n’avait bien entendu pas été le quérir dans les banlieues huppées. Il eut en effet été bien surprenant de voir le village anti-OTAN pousser entre la Robertsau et la Wantzenau ! Un agriculteur de la Ganzau a donc été mis en demeure de mettre à disposition une partie de ses terres arables. En optant pour ce lieu, pas très éloigné du Neuhof, pari semble avoir été fait que population locale et anti-OTAN avaient plus pour se heurter que pour s’entendre et que la police n’aurait qu’à venir pacifier les heurts éventuels. Pari risqué toutefois – que dénonce après-coup la municipalité de Strasbourg –, car l’éventualité de voir la jeunesse rebelle du Neuhof stimulée par les tentatives de petits groupes anti-OTAN pour forcer les barrages policiers en direction du centre-ville, cette éventualité était quand même assez probable et elle a eu lieu à plusieurs reprises, notamment dans la journée et la soirée du jeudi 2 avril, au cours desquelles un quartier middle-class de Neudorf – le Stockfeld – fut quelque peu malmené. Ce nonobstant, jusqu’au samedi 4 avril, l’ambiance dans ce qui restait de la population strasbourgeoise, chez des gens qui n’ont pas l’habitude de considérer l’OTAN dans des termes géo-politiques, restait, semble-t-il, dominé par un sentiment oscillant entre étonnement et colère. Le contraste entre la mission protectrice proclamée de cette organisation militaire d’un côté, et, de l’autre, la prise en otage d’une ville et le mépris, parfois si grossièrement affiché, des populations, un tel contraste commençait à ne devenir que trop visible et pouvait faire naître le doute et un début d’interrogations et de réflexions dans l’esprit de bien des gens. La plupart des conversations improvisées que nous avons eues ces jours-là allaient dans ce sens. Cela ressort aussi de nombreux courriers de lecteurs publiés par les Dernières Nouvelles d’Alsace. Cette dialectique ascendante a été efficacement minée par la journée du 4 avril et l’offensive black bloc au Port du Rhin. La prise en otage de la ville par le sommet OTAN a cédé la place à la mise à sac d’un quartier miséreux par des bandes cagoulées.
Mise à sac dont le caractère particulièrement démonstratif – flammes et nuages de fumées visibles jusqu’à très loin – a aussi permis d’en grossir l’importance. Car une partie de ce qui a brûlé ce jour-là – anciens bureaux de douanes et office de tourisme – était, selon nos informations, destinée à une prochaine démolition. L’hôtel Ibis, installé dans un beau bâtiment et, en principe, la pharmacie eux ne l’étaient pas. Pour répondre à ceux qui s’interrogent sur la portée symbolique de tels cibles, je dirais pour ma part qu’elle me semble très faible, à l’exception notable des caméras de surveillance et des publicités d’abri-bus qui ont aussi été visées. Mais, à l’heure où les organismes génétiquement modifiés envahissent la planète, où le brouillard électro-magnétique est devenu composant normal de l’atmosphère, où les systèmes de surveillance, déjà bien répandus, sont en passe d’équiper un grand nombre d’objets usuels, où les inquiétants nano-matériaux font insidieusement leur entrée dans le monde quotidien, les objectifs visés dans des actions de ce type n’ont pas une très grande portée politique. Elles ont en revanche un puissant effet idéologique. Car, dans ces moments-là, les stratégies militaires du black bloc offrent ceci de commun avec la logique marchande la plus avancée : le monde n’existe que comme champ de bataille. Et, de cette conception commune, le spectacle marchand et ses dispositifs de manipulation des foules retournent sans mal la situation à son avantage en montrant des populations, généralement pauvres, principalement victimes de bandes cagoulées ou autres, pendant que la fumée des exactions cherche à masquer, encore plus qu’à l’ordinaire, les causes et la nature du malheur général et que les pouvoirs spectaculaires ravivent les braises pour que les victimes demandent encore plus de protection, plus de sécurité, plus de vidéo-surveillance à l’État, cet ami qui leur veut du bien. Monsieur le maire Ries est venu lui-même apporter la bonne nouvelle : le président Sarkozy veillera personnellement à la réhabilitation du Port du Rhin ! Dans ce jeu de rôles, chacun peut changer de costume. Le premier des pyromanes devient chef des pompiers, de même que la police peut, le cas échéant, se déguiser en manifestant ou encore revêtir la cagoule noire, pour ajouter de l’huile sur le feu. Est-ce spontanément que celui-ci a redémarré en fin de journée au dernier étage de l’hôtel, obligeant une nouvelle intervention des pompiers et le déménagement des habitants voisins pour la nuit suivante, à cause des gaz toxiques ?
De toute évidence, il était convenu, en haut lieu, que cela brûle. Les compagnies de CRS avaient reçu l’ordre de se replier à distance, les pompiers français ne sont intervenus qu’avec un retard inexplicable. Le soir du 4 avril, on pouvait lire, sur le site du Badische Zeitung, que la proposition des pompiers allemands de venir de suite éteindre les premiers foyers avait été refusée du côté français. Sous couvert de poursuivre les incendiaires qui s’y étaient réfugiés, la manifestation anti-OTAN, déjà confinée sur un parcours inepte – la zone industrielle du Port du Rhin –, a été copieusement canardée de lacrymogènes et, pour finir, sabotée, avec un grand nombre de gens pris au piège et véritablement coincés entre les CRS revenus et les immeubles en feu.
Le 8 avril 2009.
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