vendredi 28 mai 2010

Au sujet du vampire du Borinage

Raphaëlle Rérolle, chef-adjoint du Monde des Livres, a consacré récemment un article à De l'amour, dernier livre, sauf erreur, du Stakhanov de l'industrie culturelle, Raoul Vaneigem (Le Monde des Livres du 14 mai 2010). On peut y lire, au sujet de l'auteur, ce surprenant rappel : « Vite exclu de l’Internationale situationniste par son chef de file, Guy Debord, Vaneigem n’en est pas moins resté un adversaire impénitent de l’ordre social. » Quiconque connaît un peu la question sait bien que cette petite phrase est à elle seule un monde d’inexactitudes. Vaneigem est devenu membre de l’Internationale situationniste au plus tard en 1961. Il en a démissionné en novembre 1970. Il n’en a donc pas été exclu, comme l’affirme imprudemment Raphaëlle Rérolle, et il ne s’est pas séparé « vite » de l’I.S., mais après au moins neuf ans d’appartenance et de collaboration plus ou moins intense à cette organisation. Qui plus est, si l’on tient compte du fait que l’I.S. s’est auto-dissoute en 1972, on remarquera que cette démission est pour le moins tardive. On se tromperait sans doute en pensant que cette petite désinformation de la journaliste du Monde est intentionnelle. Raphaëlle Rérolle désinforme, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans le savoir. Pour comprendre cela, il faut se souvenir qu’il n’est pas nécessaire aujourd’hui à un journaliste, pour écrire un article sur quelque sujet que ce soit, d’avoir une connaissance, même sommaire, de ce dont il devra parler, par exemple en lisant les livres relatifs à son sujet. Il suffit de colporter les ragots qui traînent dans les salles de rédaction ou dans la bouche des faux témoins qu’on aura bien voulu écouter. Et, s’agissant de Guy Debord, on sait que l’un de ces racontars  les plus tenaces veut qu’il ait été une sorte de dictateur au sein d’une petite organisation qui tenait de la secte ou de l’appareil gauchiste bureaucratique. Le caprice du « chef de file » de l’I.S. aurait donc entraîné l’excommunication rapide d’un « adversaire impénitent de l’ordre social ». Voilà donc ce qu’il est permis de lire dans ce qui passe pour le quotidien de référence des gens cultivés. Ici, comme ailleurs, c’est la même ignorance, mal et vite informée, qui prétend savoir et instruire son public de jobards dont les « connaissances » sont ainsi continûment mises à jour.

3 commentaires:

  1. Je commence un peu hors sujet :

    j'aimerai juste vous dire simplement merci. Merci par ce que vous m'aidez à prendre conscience de beaucoup de choses avec vos articles soigneusement renseignés tant du côté des auteurs que de l'histoire.

    N'ayant pas pris goût pour les écrits, j'ai préféré la facilité de la contestation au travers de la musique punk, qui, avec le recul (ou l'âge), commence à me paraître un tant soit peu devenue spectaculaire, pour ne pas dire futile.

    Plus je me penche sur mon clavier, plus je découvre de choses à lire, et par delà, commence à fréquenter une librairie, ou, sur vos conseils, prends contact avec des diffuseurs (Basse Intensité) pour Os Cangaceiros dont je viens d'avoir deux exemplaires.

    N'ayant qu'une expérience diffuse dans les luttes, je dois vous avouer que toutes ces références me sont et nous sont, car je les partagent, précieuses.

    Pour en revenir à votre "mise au point" :

    Sur la nouvelle encyclopédie en ligne "wiki", on peut lire :
    "Dans Le Livre des plaisirs, paru en 1979, il renouvelle son invitation à une « jouissance sans entrave », qu'il présente comme une critique de la société marchande. Cette position l'a fait exclure de l'Internationale situationniste par Guy Debord qui voyait, au contraire, dans le « vaneigemisme » l'expression de l'idéologie utilitariste."

    Comme vous le dites "c’est la même ignorance, mal et vite informée" et il me paraît d'autant plus nécessaire de soutenir les passeurs d'informations, pour que nous soyons de plus en plus nombreux à pouvoir dire : "Quiconque connaît un peu la question sait bien que cette petite phrase est à elle seule un monde d’inexactitudes. "


    Je me suis fait d'ailleurs fait la remarque que Raoul V. était beaucoup moins cité, certainement par ce que moins "sulfureux", si vous me passez l'expression.

    Connaissant peu de choses et,de par ma par nature, très peu au fait des écrits, je me suis fait conseiller un article sur ce site : http://www.article11.info/spip/spip.php?article138

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  2. Je viens de trouver, peut-être, d'où vient l'expression "Vampire du Borinage" :

    Internationale situationniste, VIII, janvier 1963, p. 10. Lessines se trouve dans le Borinage, pays minier au sud de la Belgique.


    Raoul Vaneigem est né à Lessines en 1934. Ceci expliquant cela.

    Bien à vous.

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  3. L'anonyme encyclopédiste se trompe, lui aussi, en évoquant l'exclusion de Vaneigem, comme vous l'avez relevé. Il convient toutefois de rappeler que les carences de membres de L'I.S., dont Vaneigem, avaient été critiquées au cours des discussions internes et allaient être rendues publiques. Vaneigem « a estimé aussitôt ne plus pouvoir y rester » (« Communiqué de l'I.S. à propos de Vaneigem »).
    La critique formulée par Debord, dans La Véritable Scission, ne porte pas sur la billevesée métaphysique d'une supposée « idéologie utilitariste », comme le prétend de façon saugrenue cet encyclopédiste, mais doit être comprise comme une argumentation ad hominem dénonçant principalement « la désastreuse séparation entre la théorie et la pratique » chez Vaneigem, devenu de plus en plus étranger au fil des ans à l'activité situationniste.
    En ce qui concerne Le Livre des plaisirs, je vous invite à lire la sévère critique que Debord en fit dans une lettre à Paolo Salvadori du 30 novembre 1979, reproduite dans le volume 6 de la Correspondance de Guy Debord aux éditions Fayard.

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