dimanche 15 août 2010

J. S. (1947-2010)

Un communiqué des Editions de l'Encyclopédie des Nuisances, daté du 9 août 2010, a annoncé la mort de Jaime Semprun, survenue six jours plus tôt. Cette nouvelle n'a suscité, pour l'instant, aucun commentaire dans la presse écrite, à la notable exception d'un article de Jean-Luc Porquet, publié dans Le Canard enchaîné du 11 août. Signalons aussi une succincte nécrologie insérée dans Libération du 10 août [Depuis la parution de ce billet,  Marianne du 21 août 2010 a publié un article d'hommage d'Eric Conan. Il ressert le même lieu commun que Porquet, présentant Jaime Semprun comme un « fidèle de Guy Debord ».]
Les réactions ont été un peu plus nombreuses sur la toile. La plupart se contentent de citer le communiqué de l'Encyclopédie des Nuisances ou l'article de Porquet. Certains commentateurs ont toutefois pimenté leur cuisine d'assemblage en ajoutant quelques ingrédients de leur crû. L'un croit savoir que Jaime Semprun fut membre de l'Internationale situationniste [La version originale du billet de Laurent Margantin, publiée le 12 août 2010, qualifiait Jaime Semprun d' « ancien membre de l'Internationale situationniste ». L'auteur a par la suite effacé et corrigé son erreur initiale, indiquant plus justement que Jaime Semprun « s'est intéressé de près à l'Internationale situationniste ».]   Un autre illustre sa nécrologie d'une photo de Jorge Semprun, le père du défunt.
Si le lien familial unissant les deux Semprun n'a échappé à aucun de ces internautes, personne n'a souligné que Claude Roy, le second époux de Loleh Bellon, était le beau-père de Jaime Semprun. Il avait pourtant fait l'éloge du « Relevé provisoire de nos griefs contre le despotisme de la vitesse » dans Le Rivage et les jours (1990-1991). On retrouve aussi au catalogue des Editions de l'Encyclopédie des Nuisances deux auteurs proches de Claude Roy, Kostas Papaioannou et Jean Lévi.

La rumeur de cette mort n'étant pas encore retombée, profitons-en pour rappeler que les deux premiers livres de Jaime Semprun, La Guerre sociale au Portugal et le Précis de récupération, sont épuisés [Dans l'Opinion du 27 août 2010, Christian Authier présente improprement ces deux « essais » comme des « éditoriaux ».]. C'est le moment de se souvenir que le premier de ces deux ouvrages reste à ce jour la meilleure analyse de la révolution prolétarienne au Portugal, camouflée sous l'habillage « démocratique »  de révolution des Œillets.

Jean-Luc Porquet observe: « De l'aventure situationniste menée dans les années 60 par Guy Debord et sa bande, et dont on sait qu'elle fut la seule à conduire une pensée radicale, novatrice, tranchante, “L'Encyclopédie”, d'abord revue puis maison d'édition, fut le seul surgeon vivace. » Cette image n'est pas, croyons-nous, « de celles qui servent à imaginer juste », comme l'écrivait Semprun dans L'Abîme se repeuple. Certes, L'Encyclopédie des Nuisances s'inscrivit à l'origine dans le droit fil de la critique des nuisances, élaborée dès le début des années 70 par Guy Debord dans La Véritable Scission. Mais il y a loin du brillant Discours préliminaire de novembre 1984 à quelques-uns des derniers ouvrages publiés par les Editions de l'Encyclopédie des Nuisances, la critique de la société du spectacle cédant progressivement le pas à celle de la société industrielle. Cette évolution, discrète et teintée d'amertume chez Semprun, est manifeste chez quelques-uns des auteurs qu'il a publiés, l'ex-situationniste René Riesel et l'universitaire Jean-Marc Mandosio (dont Le Chaudron du négatif, qui a ébloui Jean-Luc Porquet, nous semble tout sauf « lumineux »). De telle sorte que cette Encyclopédie est devenue plus proche, pour finir, d'Anders et de Kaczynski que de Marx et de Debord.

5 commentaires:

  1. Ce qui est surprenant, c'est la froideur du communiqué des Editions de l'EdN au regard de l'émotion qui sourd de l'article de Jean-Luc Porquet dans le "Canard". Dans le premier cas, on a affaire à un texte dont la sécheresse relève du constat d'accident (ni chair ni sang), dans l'autre, à une déclaration d'amitié, comme le dit d'ailleurs éloquemment son titre : « Quand un ami s'en va ». On peut sans doute critiquer l'enthousiasme posthume du "Canard" mais trouver également choquant l'absence patente de sensibilité du communiqué des Editions de l'EdN (après tout Jaime Semprun était leur ami sinon leur leader). Il faut donc croire que les sentiments et leur expression font partie des nuisances pour les partisans de l'EdN.

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  2. "L'ignorance, c'est la force...."

    Nous fumes quelques uns pourtant à pointer dans "les encombrants" le grotesque qui ne manquerait pas de survenir sur la mule bonasse de la falsification...

    Le coup de la photo du père en lieu et place de celle introuvable du fils était à ce titre d'une éloquence qui nous plongea le jour même de sa mise en ligne presque dans le rire à sternum déployé tant cela était indécrottablement cocasse...Mais non.

    Cordialement.
    Steph.
    http://nosotros.incontrolados.over-blog.com/article-deces-de-jaime-semprun-filouterie-grotesque-des-merdia-55238399.html

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  3. Cette image n'est pas, croyons-nous, », comme l'écrivain Semprun dans L'Abîme se repeuple.
    Du texte a sauté dans votre texte…

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  4. J'aperçois pourtant sur mon écran le texte que vous ne voyez pas : Cette image n'est pas, croyons-nous, "de celles qui servent à imaginer juste" ("imaginer juste" en italiques). Une autre personne m'a signalé ce problème technique.

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  5. (Pour faire suite au commentaire anonyme du 15 août 2010.) Et pourtant: "Comme "Andromaque, je pense à vous!", ces "Notes" inachevées [sur des tableaux de Pascal Vinardel] révèlent un penchant lyrique, nourri de réminiscences littéraires et de souvenirs d'enfance, qui n'affleurent que très discrètement dans les écrits publiés du vivant de l'auteur." (Note de l'éditeur accompagnant "Andromaque, je pense à vous!" de Jaime Semprun).

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